C’est une idée ancienne, confortable, enracinée dans les bancs d’amphithéâtre : une fois le cerveau adulte, plus aucun neurone ne voit le jour. Un préjugé tenace, hérité de Santiago Ramón y Cajal lui-même qui, au début du XXe siècle, décrivait des cellules « fixes, terminées, immuables ». Les pages des manuels de médecine ont repris, pendant des décennies, cette version simplifiée d’un organe qui, pourtant, ne cesse d’étonner.
Des chercheurs prouvent que le cerveau adulte crée encore des neurones

Mais le dogme vacille depuis les années 1990. Des études sur les rongeurs, des expériences sur des patients atteints de cancer, et plus récemment une technique de datation au carbone appliquée à l’homme ont entrouvert la porte à une réalité moins figée. L’auteur principal de la dernière avancée, Jonas Frisén, n’en est pas à son premier coup. En 2013 déjà, il avait estimé que « près de 700 nouveaux neurones naissent chaque jour dans l’hippocampe adulte ».
Le cerveau adulte et ses nouveaux neurones, une signature génétique indiscutable
L’étude parue le 11 juillet 2025 dans Science vient porter l’estocade au scepticisme. Cette fois, il ne s’agit ni de marqueurs indirects ni de fluorescences fragiles. L’équipe de Jonas Frisén a utilisé le séquençage d’ARN unicellulaire, dopé au machine learning, pour scruter plus de 300 000 cellules de cerveaux humains, de l’adolescence à la vieillesse.
Verdict, 354 cellules ont été identifiées comme des précurseurs neuronaux, ces cellules capables de donner naissance à de véritables neurones. Les chercheurs précisent qu’aucun « golden ticket » génétique unique ne permet de les reconnaître, mais que leur signature moléculaire combinée est suffisante pour confirmer leur identité. Jonas Frisén explique dans des propos rapportés par Le Figaro : « Nous avons désormais pu identifier ces cellules d’origine, ce qui confirme la formation continue de neurones dans l’hippocampe du cerveau adulte ».
Des neurones rares mais présents
Ces cellules ne se reproduisent pas en masse. Chez l’adulte, la cadence est lente, extrêmement variable selon les individus, et semble décliner avec l’âge. Dans les tissus cérébraux prélevés sur 14 individus, cinq n’en présentaient aucune trace. Cela signifie-t-il que certains cerveaux adultes sont totalement stériles sur le plan neuronal ? Pas nécessairement. Les auteurs rappellent que certains précurseurs peuvent avoir été formés dès l’enfance, puis activés lentement au fil du temps.
La neurogenèse adulte existerait donc à bas bruit, entre stagnation et réveil discret. Cette observation a été saluée comme un tournant. Evgenia Salta, neurobiologiste au Netherlands Institute for Neuroscience, juge que l’étude « offre une preuve de concept convaincante » et souligne qu’elle « fera date » dans la compréhension de la plasticité cérébrale.
Le cerveau, entre régénération et controverse scientifique
La prudence reste de mise. Shawn Sorrells, de l’université de Pittsburgh, reste sceptique, il redoute que les algorithmes aient identifié des cellules gliales plutôt que neuronales. « Les méthodes utilisées sont en grande partie indirectes et doivent être validées par d'autres approches », insiste-t-il.
Mais le débat semble s’essouffler. Pour Gerd Kempermann, du Dresden University of Technology : « Si on considère l’ensemble des données disponibles aujourd’hui, il faut dire que le débat est clos. » Même Jonas Frisén veut tourner la page : « Espérons que cela ne relance pas la controverse, mais qu’au contraire cela l’unifie. »
Le cerveau à l’épreuve des pathologies neurodégénératives
Au-delà du choc conceptuel, l’enjeu est thérapeutique. Comprendre pourquoi certains cerveaux adultes continuent de fabriquer des neurones tandis que d’autres cessent cette production pourrait ouvrir des pistes pour lutter contre la dégradation cognitive, notamment dans les maladies comme Alzheimer.
Hongjun Song, chercheur à l’université de Pennsylvanie, parle déjà de « prochaine frontière » : déterminer si les différences de neurogenèse expliquent les écarts de mémoire ou de résistance au vieillissement. Les 700 neurones quotidiens repérés jadis paraissent infimes, mais leur impact pourrait être majeur.