Sur le marché des voitures d’occasion, chaque acheteur se pose des questions. Ce fléau cache une économie parallèle millésimée : comment l’ampleur de la fraude échappe-t-elle aux radars ?
La fraude sur le marché des voitures d’occasion, un fléau à 9 milliards d’euros

En plein cœur d’un marché européen estimé à plus de 635 milliards d’euros en 2024, les voitures d’occasion sont devenues le terrain de jeu idéal pour une fraude massive. Le 22 juillet 2025, une nouvelle étude alerte : la falsification du kilométrage touche près de 5 % des véhicules revendus et entraîne des pertes évaluées à 1,15 milliard d’euros en France. En Europe, la facture grimpe à près de 9,6 milliards d’euros par an. Un préjudice colossal, encore trop souvent invisible.
Des pratiques frauduleuses bien rodées sur le marché de l’occasion
Dans l’univers des voitures d’occasion, deux manœuvres reviennent systématiquement : d’une part, le trucage du kilométrage, d’autre part, la dissimulation des dommages.
Dans le premier cas, le compteur est volontairement diminué afin de revaloriser un véhicule. En France, les véhicules touchés affichent en moyenne 38 213 kilomètres en moins. Cela permet aux vendeurs indélicats d’en gonfler le prix de vente jusqu’à 44,5 % au-dessus de la véritable valeur.
Dans le second cas, ce sont les réparations et accidents passés qui disparaissent du dossier. Pourtant, 40 % des voitures d’occasion présentent des traces de dommages anciens non déclarés. Ces techniques de camouflage séduisent, car elles sont rentables. Le manque d’harmonisation des fichiers d’historique automobile, les marges de manœuvre juridiques et la pression commerciale facilitent ces écarts.
Un impact économique et personnel majeur
La falsification des compteurs des voitures d’occasion n’est pas une fraude anodine. Elle a des conséquences directes sur la sécurité, la transparence du marché, et les finances des particuliers.
Un véhicule affiché à 10 000 euros, mais en réalité usé à hauteur de 200 000 kilomètres, ne vaut souvent que 5 500 euros. Chaque acheteur mal informé peut donc perdre plus de 4 000 euros dès l’achat. Plus la voiture est onéreuse, plus l’arnaque est lourde. Certaines berlines premium, surpayées de 15 000 à 20 000 euros, dissimulent parfois des antécédents d'accidents importants.
Le risque ne s’arrête pas là. Un historique falsifié peut retarder des entretiens critiques, augmenter les probabilités de panne, voire menacer la sécurité des passagers. Les propriétaires finissent par assumer des coûts de réparation imprévus, une dépréciation accélérée et un passage difficile à la revente.
Des zones géographiques inégalement touchées
En France, les villes de Metz, Mulhouse, Nancy, Paris, Lille, Lyon et Marseille sont parmi les plus concernées par ces pratiques frauduleuses dans la vente des voitures d’occasion. La moyenne de kilomètres "effacés" y reste élevée, ce qui confirme un phénomène national et non isolé.
En comparaison, la Belgique affiche un kilométrage falsifié moyen encore plus important, autour de 41 012 kilomètres. Pourtant, elle dispose d’un dispositif avancé, le Car-Pass, qui a permis de limiter fortement les abus dans la vente des voitures d’occasion.
À l’échelle européenne, l’Europe centrale et orientale concentre les plus forts taux de fraude : Lettonie, Roumanie, Pologne, Lituanie ou Hongrie dépassent parfois les 20 % de voitures d’occasion trafiquées. En revanche, la Suède et la Finlande s’illustrent comme exemples de transparence, grâce à des agences publiques facilitant l’accès aux historiques automobiles, y compris après exportation.
Pourquoi la fraude perdure-t-elle ?
Trois grandes causes structurelles entretiennent ce marché de la triche :
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Le cloisonnement des données : La réglementation européenne sur la protection des données personnelles (RGPD) empêche parfois le partage des informations essentielles entre pays. Ainsi, lorsqu’un véhicule est exporté, son historique devient difficilement consultable.
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L’absence d’un système unifié : Même des États membres bien équipés comme l’Allemagne limitent la diffusion d'informations vers l’étranger. Le système KBA, pourtant performant, n’est pas pleinement mis à disposition du public ni des plateformes de vérification.
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Le manque de traçabilité systématique : Les relevés de kilométrage, les historiques de dommages ou les changements de propriétaire ne sont pas toujours numérisés. Cela facilite les manipulations.
Comment éviter de se faire piéger ?
Acheter une voiture d’occasion n’est pas un pari risqué si l’on adopte les bons réflexes.
Le premier consiste à vérifier l’historique du véhicule via son numéro d’identification (VIN). Des services spécialisés proposent des rapports détaillés, avec relevés de kilométrage, signalements de dommages et provenance du véhicule.
Ensuite, il est recommandé de consulter le carnet d’entretien, de faire inspecter le véhicule par un professionnel, voire d’exiger un contrôle technique récent.
Enfin, privilégier un vendeur transparent. Aujourd’hui, seulement 9 % des concessionnaires en France proposent systématiquement un rapport d’historique à leurs clients.
Quelle réponse européenne face à la fraude ?
Les pays comme la Suède et la Finlande prouvent qu’une transparence est possible, sans renoncer à la vie privée. En s’inspirant de ces modèles, l’Europe pourrait éviter chaque année plusieurs milliards d’euros de pertes, renforcer la confiance et soutenir un marché automobile plus équitable.
La fraude sur le marché des voitures d’occasion n’est pas une simple anomalie, c’est un mécanisme systémique qui pénalise acheteurs comme vendeurs honnêtes. Tant que les données resteront cloisonnées, les fraudeurs auront une longueur d’avance.