Concurrence déloyale : Uber dans le viseur des taxis savoyards

Sous les sommets enneigés et derrière les vitres embuées des gares alpines, une bataille bien moins poétique se joue depuis des mois. Ce qui ressemblait à une concurrence classique entre plateformes et acteurs locaux s’est transformé en un affrontement frontal, où tous les coups semblent permis.

Ade Costume Droit
By Adélaïde Motte Published on 25 avril 2025 12h30
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Concurrence déloyale : Uber dans le viseur des taxis savoyards - © Economie Matin

Le 23 avril 2025, une plainte collective a été officiellement déposée auprès du procureur de la République d’Albertville par des chauffeurs de taxi et de VTC (voitures de transport avec chauffeur) savoyards. L’objectif ? Poursuivre Uber France, le géant californien de la mise en relation numérique, pour concurrence déloyale. Cette initiative, inédite à l’échelle nationale selon les avocats des plaignants, cristallise des mois de tensions et de pertes économiques pour les professionnels du transport en Savoie, confrontés à un modèle qui, selon eux, « truque la partie ».

Uber au cœur de la tourmente judiciaire savoyarde

L’offensive judiciaire engagée vise directement la plateforme Uber, accusée de violation des règles relatives au transport, mais également de pratiques plus graves, comme le travail dissimulé ou l’exercice illégal de la profession. En ligne de mire : les chauffeurs franciliens qui affluent en Savoie à chaque saison touristique, attirés par la demande massive autour des stations de ski.

Pour Me Jonathan Bellaiche, avocat des plaignants, l’accusation est sans ambiguïté : « Actuellement en Savoie, vous avez de très nombreux chauffeurs qui viennent de toute la France et notamment de banlieue parisienne stationner et circuler en quête de clients sans retourner chez eux. »

Dans cette configuration, les chauffeurs locaux sont tout simplement débordés. Privés de courses, ils voient leurs revenus s’effondrer, sans pouvoir s’aligner sur les prix cassés issus de la tarification dynamique pratiquée par les plateformes. Un marché qui serait « totalement dérégulé » selon Sébastien Dumarais, président de la chambre syndicale des artisans taxis de Savoie, pour qui la situation menace jusqu’à l’existence même de certaines structures locales.

Le bras de fer juridique et les tensions sur le terrain

Si l’action en justice est collective, c’est que la fracture est désormais structurelle. Les plaignants, regroupés au sein de l’Association des Transporteurs Savoyards de Personnes, ne se contentent pas d’accuser la firme américaine. Ils pointent également une inaction locale face à une dérive réglementaire devenue systématique.

Dans un communiqué daté du 14 février 2025, le préfet de la Savoie, François Ravier, rappelait pourtant les règles de base : « Le conducteur VTC […] est tenu de retourner à sa base après chaque course » et ne peut « ni stationner sur les emplacements réservés aux taxis, ni pratiquer la maraude ». Il annonçait aussi le renforcement des opérations de contrôle, avec plus de 70 infractions constatées en quelques semaines.

Mais pour les professionnels savoyards, ce n’est pas suffisant. « Ce sont des montants qui sont vertigineux ! », s’insurge Guillaume Léger Grain, président de l'association, dans les colonnes de France Bleu. Et Me Bellaiche de résumer la gravité de la situation en des termes glaçants : « Certains taxis ont franchi la porte de mon bureau en me disant 'Maître, je vais me suicider'. »

Incendies de voitures et plainte pénale : la situation dégénère

Cette guerre des territoires ne se joue pas uniquement dans les prétoires. Le 11 février 2025, plusieurs véhicules Uber ont été incendiés à Moûtiers et Salins-Fontaine. L’auteur présumé, Sébastien Dumarais, a reconnu les faits devant le tribunal correctionnel d’Albertville lors d’une audience tendue, symbole d’une situation à bout de nerfs.

Malgré cette dérive violente, les chauffeurs savoyards veulent aujourd’hui structurer leur riposte. Une application locale est en développement, censée leur permettre de reprendre le contrôle sur leur territoire numérique, tout en espérant que les autorités renforcent les barrières réglementaires face à des pratiques qu’ils estiment massivement illégales.

Uber : une réponse toujours attendue

Contacté par plusieurs médias, Uber France n’a pas encore réagi à la plainte déposée ni aux accusations formulées. Une absence de réponse qui irrite les plaignants et renforce leur détermination. « La concurrence déloyale est pour tous les corps de métier », rappelle l’un d’eux dans France Bleu, avant d’ajouter que les élus locaux doivent eux aussi prendre leurs responsabilités.

À ce stade, l’issue judiciaire est incertaine. Mais une chose est sûre : pour les chauffeurs savoyards, la bataille contre Uber est désormais une question de survie économique, mais aussi de dignité professionnelle. Pour Uber, il s'agit d'une nouvelle tache à sa réputation, après les abonnements difficiles à résilier et les burn-out de ses entrepreneurs.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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