Des tractations feutrées aux manœuvres capitalistiques opaques, le spectre d’une disparition de SFR secoue un marché télécom déjà exsangue. Si Patrick Drahi semble vouloir tirer sa révérence, reste à savoir dans quelles conditions.
SFR : vers une vente à la découpe avant 2027 ?

Le 6 avril 2025, la rumeur s’est muée en onde de choc : Patrick Drahi, propriétaire du groupe Altice, envisagerait la cession de SFR. Ce possible retrait redessinerait la carte des télécommunications françaises, déjà malmenées par des années de guerre des prix et d’investissements titanesques. L’opérateur historique SFR, troisième du marché, pourrait-il bientôt passer sous pavillon concurrent ou étranger ?
SFR au bord du gouffre : la dette d’Altice, poison à effet retard
Depuis des années, SFR évolue sous perfusion. Le groupe Altice, holding de Patrick Drahi basée au Luxembourg, a bâti son empire à coups de LBO (leveraged buyout), gonflant artificiellement sa croissance par l’endettement. Résultat : une ardoise colossale de 60 milliards d’euros cumulés entre l’Europe et les États-Unis, dont 24 milliards portés par SFR en France.
Le 25 février 2025, Le Monde rapportait : « Les prêteurs, essentiellement des fonds d’investissement américains, comme BlackRock, Pimco ou Fidelity, ont accepté de renoncer à 8,6 milliards d’euros de dette en échange de 45 % du capital de SFR ». En clair, Drahi sauve sa peau… mais pas son opérateur.
Car si la restructuration permet de gagner du temps, elle n'efface ni la baisse continue du chiffre d’affaires, ni l'hémorragie d'abonnés : plus d’un million de clients perdus en 2023. Une spirale infernale, nourrie par des investissements en berne et une image désastreuse.
Patrick Drahi en retrait : fin d’un règne ou opération camouflage ?
L’idée d’un désengagement n’est plus une hypothèse. Le Figaro explique : « Pour la première fois depuis quinze ans dans les télécoms françaises, nous avons un vendeur », citation attribuée à Laurent Martinez, directeur financier d’Orange. Mais attention à ne pas répéter les échecs du passé.
Officiellement, rien n’est lancé. Officieusement, tout est prêt : valorisation oscillant entre 20 et 25 milliards d’euros, étude de scénarios de vente à la découpe, démarchage discret d’acteurs étrangers. Patrick Drahi entend sortir par le haut d’un secteur qu’il a saigné. Mais qui peut, aujourd’hui, racheter un tel mastodonte en crise ?
Trois opérateurs pour un fauteuil : Free, Orange et Bouygues dans la mêlée
Le trio tricolore est sur les rangs. Chacun a ses raisons. Free (Iliad) rêve d’accroître sa base clients. Bouygues y verrait une revanche après l’échec de 2014. Orange, en position de force, pourrait absorber une partie du réseau. Mais aucun ne veut porter seul la charge. D'où l’hypothèse d’un dépeçage concerté : réseau à l’un, data centers à l’autre, boutiques ou licences à un troisième.
« Si la consolidation en France nous permet de grandir, nous serons très pragmatiques », a déclaré Thomas Reynaud, DG d’Iliad, dans Univers Freebox. Pragmatique, certes. Mais les obstacles sont nombreux : régulateurs sourcilleux, règles antitrust, souveraineté numérique. Et puis, il y a les candidats exotiques.
Riyad et Abu Dhabi dans les coulisses : le grand retour des fonds souverains
STC (Arabie saoudite) et Etisalat (Émirats) n’ont pas caché leur appétit. Numerama évoque une « offre alternative » à un rachat 100 % français. Une perspective qui fait grincer des dents jusqu’à Bercy : céder une infrastructure stratégique à des puissances extra-européennes ? L’idée hérisse les défenseurs de la souveraineté numérique. D’autant que les élections présidentielles approchent (2027), et que ce dossier est un piège politique en puissance.
Le flou est savamment entretenu. Dans son communiqué de février, Altice vantait une « opération qui va réduire historiquement et substantiellement la dette existante de la société ». Une rhétorique d’apaisement, sans jamais mentionner le mot « vente ». Mais les faits parlent d’eux-mêmes : cession de La Poste Mobile, vente des datacenters, démantèlement d’Altice Media… SFR est la dernière pièce du puzzle. Et elle pourrait valoir gros. Reste à trouver un acheteur qui accepte d’avaler un opérateur malade… et une dette encore toxique.
Le dernier tour de piste d’un empire en miettes
L’histoire de SFR ressemble de plus en plus à celle d’un fleuron sabordé. Racheté à prix d’or, asséché par des dettes abyssales, livré aujourd’hui aux manœuvres opportunistes. Patrick Drahi, faiseur de deals autant que dompteur de banques, semble prêt à tirer sa révérence. Le marché, lui, n’en ressortira pas indemne.