UFC-Que Choisir vs Nestlé Waters : une plainte et quatre ministres visés

Des bouteilles d’eau remplies d’ambiguïtés, des ministères qui ferment les yeux, une industrie qui détourne les normes : l’affaire Perrier, rebaptisée par certains « Nestlégate », cristallise les soupçons les plus amers. Et désormais c’est la justice qui pourrait se saisir de ce qui est un réel scandale d’État sur le traitement des eaux minérales par un géant de l’agroalimentaire, Nestlé.

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 4 juin 2025 7h00
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1,8%Le chiffre d'affaires de Nestlé a baissé de 1,8% en 2024

Le 3 juin 2025, l’UFC-Que Choisir a engagé une série de poursuites contre Nestlé Waters France et plusieurs anciens membres du gouvernement. Le déclencheur ? Un scandale sanitaire, environnemental et réglementaire autour du traitement illégal de plusieurs eaux minérales naturelles. Le groupe Nestlé, au cœur du tumulte, est accusé d’avoir maquillé la nature réelle de ses produits pendant plus de quinze ans. Une procédure hors norme qui propulse les pratiques industrielles et les complicités administratives au banc des accusés.

Nestlé dans le viseur : eaux minérales, traitements interdits et tromperie prolongée

À l’origine du scandale, des révélations internes : Nestlé Waters aurait, depuis au moins 2008, soumis certaines de ses eaux minérales — notamment Perrier, Contrex, Vittel, Hépar — à des procédés techniques prohibés par le droit européen. L’usage de filtres à 0,2 micron, de rayons UV, ou encore de charbon actif, formellement interdits sur les eaux minérales naturelles, aurait été systématisé.

« Une eau minérale naturelle ne doit subir aucun traitement susceptible d’altérer sa composition originelle. Or, Nestlé a sciemment contourné ces exigences pour masquer des contaminations microbiologiques », dénonce l’UFC-Que Choisir dans son communiqué officiel du 3 juin 2025.

La stratégie industrielle mise en place aurait permis à l’entreprise de maintenir sa présence sur un marché lucratif. Le différentiel de prix entre l’eau minérale et l’eau du robinet est abyssal : selon l’association, Perrier se vend en moyenne 200 fois plus cher que l’eau potable. L’UFC chiffre les bénéfices tirés de cette tromperie à plus de 3 milliards d’euros sur 15 ans.

Plainte contre Nestlé et plainte contre l’État : quand l’industrie se marie à l’inaction publique

L’affaire ne s’arrête pas aux portes de Nestlé. Elle éclabousse aussi la sphère publique. L’association de consommateurs a formellement déposé deux types de plaintes distinctes.

La première, pénale, vise Nestlé Waters France, ses dirigeants, ainsi que des agents de l’Agence régionale de santé (ARS) Occitanie. Y sont dénoncées des infractions telles que :

  • Tromperie aggravée sur la marchandise ;
  • Falsification de documents officiels ;
  • Infraction aux normes sanitaires ;
  • Corruption passive et active, contre X.

Mais c’est surtout la seconde procédure qui marque un tournant juridique : une plainte devant la Cour de Justice de la République visant quatre anciens ministres :

  • Agnès Pannier-Runacher (Transition écologique),
  • Roland Lescure (Industrie),
  • Aurélien Rousseau (Santé),
  • Agnès Firmin-Le Bodo (Santé, déléguée).

L’UFC-Que Choisir leur reproche d’avoir volontairement couvert les pratiques de Nestlé malgré des alertes internes et parlementaires dès 2021. En mai 2025, une commission sénatoriale avait déjà accusé l’exécutif de « mutisme criminel ».

L’UFC ne veut plus voir de Perrier dans les rayons

En plus des deux plaintes principales, l’UFC a déposé un référé d’heure à heure devant le Tribunal judiciaire de Nanterre. L’objectif est double :

  1. Retrait immédiat des bouteilles de Perrier en rayon ;
  2. Suspension de l’appellation « eau minérale naturelle » pour les marques concernées.

Cette procédure express doit être examinée début juillet 2025. Elle pourrait aboutir à une interdiction de vente dans toute la France.

Face à cette offensive inédite, la réponse de Nestlé se veut rassurante, voire désinvolte : « Il n’y a jamais eu de risque sanitaire. Nos produits respectent la réglementation en vigueur et nous coopérons avec les autorités », souligne le groupe.

Une déclaration immédiatement dénoncée par l’association, pour qui l’enjeu n’est pas la présence d’agents pathogènes, mais le contournement manifeste des règles européennes sur la composition des eaux minérales.

Affaire des eaux Nestlé : le scandale s’étend, l’État vacille, la justice avance

Si Nestlé est en ligne de mire, d’autres groupes ne sont pas épargnés. Une procédure distincte est déjà en cours contre Sources Alma, fabricant des eaux Cristaline, St-Yorre, Courmayeur. En parallèle, une ancienne condamnation de Nestlé en septembre 2024 pour usage de traitements interdits avait abouti à une amende de 2 millions d’euros — somme jugée dérisoire par les ONG.

La présidente de l’UFC-Que Choisir, Marie-Amandine Stévenin, martèle : « Le respect du droit, la santé publique et la loyauté commerciale ne sont pas des variables d’ajustement susceptibles d’être sacrifiées sur l’autel des intérêts industriels. Le scandale Nestlé Waters a rendez-vous avec la justice. »

Début juin 2025, un collectif d’avocats spécialisés a d’ailleurs proposé de lancer une action de groupe nationale si les plaintes déposées n’aboutissent pas rapidement. Le débat est désormais ouvert sur la possibilité d’un moratoire législatif renforçant les contrôles sur l’origine, le traitement et l’étiquetage des eaux embouteillées.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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