Les indicateurs sont au rouge, mais rien ne semble freiner l’inexorable érosion du lien entre les salariés et leur travail. En France, la situation atteint un point critique, tandis qu’ailleurs, les entreprises tentent encore de recoller les morceaux. Les chiffres sont là, implacables. Pourquoi cette déconnexion massive entre salariés et entreprise ?
Travail : moins d’un salarié sur dix est motivé en France

Le 23 avril 2025, Gallup a publié son rapport annuel State of the Global Workplace 2025, un document de référence sur l’engagement des salariés dans le monde. Cette année, la France se distingue tristement. Et pas pour les bonnes raisons. Avec seulement 7 % de salariés engagés dans leur travail, l’Hexagone décroche un record mondial de désaffection. Que se passe-t-il donc dans les couloirs de nos entreprises françaises ?
En France, le désengagement des salariés frôle la fracture sociale
Le constat est glaçant : 93 % des salariés français ne se sentent pas engagés dans leur travail. Parmi eux, une majorité exprime un profond ressentiment vis-à-vis de leur entreprise. D’après Gallup, seuls 7 % se déclarent investis émotionnellement dans leur mission. Ce chiffre, déjà bas en 2023, continue de s’éroder. À titre de comparaison, l’Espagne atteint 14 %, l’Italie 16 %, et même l’Allemagne, réputée pour son exigence professionnelle, enregistre 18 %.
Salariés désabusés, managers déboussolés
Le cœur du problème ? Le lien humain. Ou plutôt son absence. Les salariés dénoncent un management distant, des objectifs flous et une reconnaissance quasi inexistante. Le mal est profond, enraciné dans une culture d’entreprise où la hiérarchie est perçue comme une forteresse, inaccessible et sourde aux revendications du quotidien.
Ajoutez à cela un niveau de stress record – 48 % des salariés français déclarent avoir été très stressés la veille de l’enquête – et vous obtenez un cocktail explosif. Burn-out, absentéisme chronique, turnover : les signaux d’alerte sont ignorés, souvent relégués à des problématiques individuelles plutôt que systémiques.
Des entreprises en pilotage automatique ?
La critique est acerbe, mais elle reflète une réalité bien installée : les entreprises françaises investissent très peu dans l’engagement de leurs équipes. À l’inverse des pays anglo-saxons, où le développement personnel, la formation continue et la reconnaissance font partie intégrante des politiques RH, l’Hexagone reste figé dans une vision productiviste, où la motivation des salariés est vue comme un luxe, pas une nécessité.
Le désengagement salarié, un fléau planétaire… qui coûte cher
Ce qui frappe à l’échelle mondiale, c’est la convergence des tendances. Le taux d’engagement mondial chute de 23 % à 21 % entre 2023 et 2024, selon Gallup. Le coût de cette désaffection ? Environ 438 milliards de dollars (soit près de 410 milliards d’euros) de pertes de productivité. Une hémorragie économique silencieuse, mais ravageuse.
Le management en première ligne
Les premiers touchés sont… les managers eux-mêmes. Leur taux d’engagement s’effondre, passant de 30 % à 27 %. Pire encore chez les jeunes responsables : les managers de moins de 35 ans perdent 5 points, et les femmes managers 7 points. Pressés entre les nouvelles exigences des directions générales et les attentes croissantes des collaborateurs post-COVID, beaucoup se sentent à bout.
Le mirage du bien-être global
Autre indicateur en berne : le bien-être global. Après cinq années de progrès, il recule pour la deuxième année consécutive, tombant à 33 %. La fatigue psychologique, la précarisation perçue, les politiques de télétravail en dents de scie, et la difficulté à trouver un équilibre entre vie pro et perso pèsent lourd dans la balance.
Pourtant, des solutions existent : l’engagement, ça se construit
Il ne s’agit pas d’un fatalisme inéluctable. Certaines organisations réussissent à renverser la tendance, parfois spectaculairement. Le rapport Gallup met en lumière les entreprises ayant misé sur une refonte complète du parcours salarié – de l’embauche à la sortie – avec un seul mot d’ordre : cohérence.
Des leviers identifiés
Les leviers sont connus :
- Recruter sur la base du potentiel et non du CV.
- Clarifier les attentes dès l’intégration.
- Investir dans la formation continue.
- Développer un vrai leadership de proximité.
- Offrir une reconnaissance authentique, au-delà des primes.
Gallup est formel : un monde avec des salariés pleinement engagés pourrait générer 9,6 trillions de dollars supplémentaires, soit environ 9 000 milliards d’euros, à l’économie mondiale. C’est l’équivalent de 9 % du PIB mondial. Ce n’est donc pas une question de confort ou d’idéologie, mais une réalité économique brutale : l’engagement est une ressource. Et ceux qui l’ignorent se privent d’un levier de compétitivité massif.
La France est en première ligne d’une crise mondiale du travail. Mais cette crise n’est ni inéluctable, ni abstraite. Elle a des causes identifiées, des symptômes visibles et des remèdes connus. Encore faut-il que les entreprises acceptent de sortir du déni et d’affronter la question centrale : comment redonner du sens au travail ? Car ce que réclament les salariés aujourd’hui n’est pas une baby-foot en open space. C’est du respect, de l’écoute, et la conviction que leur travail compte.