Et si la fameuse « fin de mois difficile » appartenait bientôt au passé ? Une réforme du rythme de versement du salaire agite les débats et pourrait bien chambouler des décennies d’habitudes françaises.
Vers la fin du salaire mensuel ? Ce que veulent vraiment les salariés français
Le 5 mai 2025, une nouvelle proposition de loi a relancé le débat autour de la mensualisation du salaire. Ancrée depuis les années 1970 dans la culture du travail en France, cette norme pourrait vaciller face aux revendications croissantes d’une population confrontée à une instabilité financière grandissante. Ce projet, porté par le député Jean Laussucq, ambitionne de bouleverser l’organisation actuelle de la rémunération, en donnant aux salariés un pouvoir inédit sur leur propre calendrier de paiement.
Mensualisation du salaire : un héritage en sursis
La mensualisation du salaire, imposée par décret sous la présidence de Georges Pompidou dans les années 1970, visait alors une avancée sociale : mettre fin à la distinction entre les ouvriers payés à la journée ou à la semaine, et les employés mensualisés. À l’époque, cela symbolisait une homogénéisation statutaire, un progrès vers la stabilité.
Aujourd’hui, cet acquis est remis en question. Selon une étude OpinionWay pour Stairwage, publiée le 5 mai 2025 dans Le Parisien, 63 % des salariés interrogés souhaiteraient recevoir leur salaire plus fréquemment, contre seulement 28 % favorables au maintien du versement unique en fin de mois. Chez les moins de 35 ans, cette aspiration grimpe à 75 %, un chiffre qui trahit un profond changement générationnel dans la perception de la gestion budgétaire.
Le salaire toutes les semaines ? Vers une révolution du paiement
Dans un contexte économique tendu, où un Français sur quatre est à découvert dès le 16 du mois, la proposition de Jean Laussucq (député du groupe Ensemble pour la République) prend une résonance particulière. Il propose de faciliter les acomptes multiples, voire de permettre une rémunération hebdomadaire, sans nécessité de justificatif – à l’image de ce qui se pratique aux États-Unis ou au Royaume-Uni.
« Le processus actuel pour obtenir un acompte est généralement complexe, long et lourd... De quoi dissuader les employés d'en faire la demande ! », souligne l’article de Femme Actuelle du 5 mai 2025. Le député souhaite donc permettre, par exemple, à un salarié d’être payé les 7, 14, 21 et 30 du mois, rendant le paiement hebdomadaire une option concrète sans supprimer la mensualisation.
Mais l’objectif n’est pas de mettre fin au modèle en place : « Je souhaite maintenir la mensualisation comme mode de rémunération principal », précise le député, conscient des contraintes techniques et psychologiques d’un changement trop brusque.
Salaire versé toutes les semaines : freins économiques et inquiétudes patronales
Du côté des employeurs, le tableau est moins enthousiaste. Bernard Cohen-Hadad, président de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises (CPME) Paris Île-de-France, se montre « extrêmement favorable à ce qu'il y ait ce dialogue dans l’entreprise » tout en soulignant les coûts cachés : « Ce n'est pas une mauvaise idée si c'est une attente des collaborateurs, mais cela suppose des difficultés de gestion, l’acquisition de logiciels, des contrôles supplémentaires ».
Il appelle également les banques à plus de flexibilité : « Il faut que les banquiers offrent un peu plus d'autorisations de découverts à nos collaborateurs ou à nos petits entrepreneurs », déclarait-il à RMC. Car le problème n’est pas seulement la date de versement du salaire, mais aussi l’absence de filet de sécurité bancaire dans un système monolithique.
À l’étranger : le modèle du salaire hebdomadaire existe déjà
La France ferait-elle figure d’exception ? En Royaume-Uni, les versements hebdomadaires sont courants, notamment dans les secteurs de la restauration, de la logistique ou du bâtiment. Aux États-Unis, certaines entreprises offrent même un accès quasi-immédiat au salaire gagné, via des applications financières intégrées à leur système de paie. Ces modèles permettent une souplesse budgétaire cruciale pour les travailleurs précaires ou les emplois saisonniers.
Mais ces pratiques ont aussi leurs dérives : fragmentation des revenus, difficulté à épargner, et, paradoxalement, plus grande exposition aux imprévus majeurs. Le changement de paradigme doit donc s’accompagner d’une pédagogie financière forte, notamment pour les jeunes actifs.
Le droit du travail en ligne de mire : vers un changement de paradigme en France ?
Juridiquement, deux dispositifs encadrent déjà des versements anticipés en France :
- L’acompte, accessible légalement à partir du 15 du mois, et obligatoire si demandé par le salarié pour les heures déjà travaillées.
- L’avance sur salaire, assimilable à un prêt que l’employeur peut refuser.
Le projet de loi en discussion vise à multiplier ces possibilités d’acompte, en supprimant les démarches lourdes et en institutionnalisant leur fréquence sans bureaucratie. Cela constituerait une petite révolution dans l’application du Code du travail, sans forcément toucher à son fondement historique.
Si l’Assemblée nationale donne son feu vert, la France pourrait bien devenir le premier pays de l’Union européenne à offrir une liberté de fréquence de versement salarial encadrée par la loi, sans remettre en cause le principe de mensualisation. Mais cette transition appelle un changement d’approche global : investissement technologique pour les employeurs, responsabilité financière pour les salariés, assouplissement bancaire pour les acteurs tiers.