Ce n’est pas une simple question de mots, c’est une bataille de justice, de reconnaissance, de responsabilité. Un texte de loi porté à bout de bras par des élus, réclamé avec rage par des familles, vient de franchir un cap décisif dans l’hémicycle.
Délit d’homicide routier : vote historique à l’Assemblée nationale

Le 3 juin 2025, l’Assemblée nationale a adopté en seconde lecture une proposition de loi instaurant le délit d’homicide routier. Ce vote, aux allures de symbole, marque une évolution dans le traitement des accidents mortels sur la route. L’introduction de ce nouveau homicide routier vise à combler un vide perçu dans la justice pénale française. Explications.
Homicide routier : un vote de l’Assemblée nationale lourd de sens
Dans un hémicycle clairsemé, mais déterminé, 194 députés ont voté pour, seuls 6 s’y sont opposés. Le ton était donné : mettre fin à une qualification pénale jugée insuffisante, voire blessante par les proches des victimes de la route. Jusqu’ici, les conducteurs responsables d’accidents mortels dans des conditions gravement fautives n’étaient poursuivis que pour « homicide involontaire ».
Ce choix sémantique, longtemps critiqué, minimisait pour beaucoup la gravité des actes. La députée Sandrine Rousseau le soulignait dans les débats de janvier 2024 : « On ne peut pas appeler involontaire la mort d’un enfant fauché par un chauffard sous cocaïne. » Le projet, défendu avec constance par Éric Pauget (Les Républicains) depuis la mort de Noé, 16 ans, en 2022, a fini par s’imposer, souligne BFMTV.
L’Assemblée nationale a ainsi validé la création d’un délit autonome au sein du code pénal, qui ne remplace pas l’homicide involontaire, mais qui s’y ajoute pour les cas les plus graves. La proposition repart maintenant vers le Sénat, qui l’avait déjà adoptée une première fois en janvier 2024.
Le nouveau délit d’homicide routier : un cadre distinct et ciblé
Le texte ne change pas les peines maximales prévues par l’homicide involontaire :
→ 7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.
→ Jusqu’à 10 ans de prison et 150 000 euros d’amende en cas de deux circonstances aggravantes (comme l’alcool + la vitesse, ou drogue + téléphone au volant).
Mais ce n’est pas la gravité de la peine qui a changé. C’est le cadre de lecture de l’acte. À partir de l’adoption finale, les magistrats pourront désigner explicitement l’acte comme un homicide routier lorsque les faits sont commis sous l’emprise de l’alcool, de stupéfiants, à une vitesse excessive, ou dans le cadre d’un rodéo urbain ou d’un refus d’obtempérer.
En somme, la volonté du législateur est de créer une catégorie à part entière, « un acte autonome », selon les termes du dossier législatif publié sur le site de l’Assemblée nationale, « qui dit le nom des choses ».
Pourquoi une telle évolution législative était réclamée
La pression populaire et associative n’a cessé de croître. Ingrid Fajal, mère d’un jeune homme tué par un conducteur ivre, déclarait dans le JT de France 2 : « On ne supporte plus cette loi qui permet aux gens de croire qu’ils ne seront pas punis. »
Derrière cette réforme, il y a une nécessité symbolique et une exigence de reconnaissance morale pour les familles. Car selon l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), deux tiers des accidents mortels impliquent un facteur aggravant.
Les chiffres sont têtus :
- L’alcool et la vitesse figurent en tête des causes d’accidents mortels (et non le cannabis comme le laisse parfois entendre le gouvernement prohibitionniste).
- En 2023, près de 1 200 morts sur la route seraient imputables à des comportements visés par cette loi.
Un texte pas si consensuel dans le monde judiciaire
Malgré son adoption large, le texte suscite encore des réserves. Antoine Régley, avocat pénaliste, alerte sur une possible confusion des principes : « Le code pénal prévoit qu’il n’y a pas de crime sans intention. Or, dans un accident de la route, l’intention de tuer n’existe pas. » Pour certains magistrats, le risque est de glisser vers une justice émotionnelle là où il faudrait conserver une lecture rigoureuse du droit.
Le Conseil d’État n’a pas encore émis d’avis critique, mais la Commission des lois du Sénat devra trancher plusieurs amendements en suspens.
Et maintenant ? Retour au Sénat et arbitrages
Le prochain examen aura lieu au Sénat dans les prochaines semaines. Si les sénateurs valident le texte sans le modifier, la loi sera promulguée dans la foulée. Sinon, une commission mixte paritaire pourrait être convoquée pour rapprocher les versions votées par les deux chambres.
Dans tous les cas, l’entrée en vigueur de ce délit d’homicide routier est attendue avant la fin 2025. Le ministère de la Justice prévoit une circulaire d’application pour guider les parquets dans les premiers mois.
Ce qui se joue ici, ce n’est pas seulement une mise à jour du code de la route. C’est une transformation de la manière dont la société regarde la violence routière. Nommer un acte, c’est lui donner un statut, une existence autonome dans le droit.