Un projet éducatif peu banal, un tollé syndical, et une académie sous tension. Une expérience menée à Dijon secoue l’Éducation nationale : mais jusqu’où peut-on bricoler le métier d’enseignant sans faire sauter la vis pédagogique ?
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Le 22 mai 2025, un simple courriel du rectorat de Dijon a mis le feu aux poudres : en pleine pénurie de professeurs, l’académie propose de recruter des enseignants de français après un entretien de 30 minutes. Une mesure d’urgence pour les uns, un affront pour les autres. Derrière cette initiative se cache une crise structurelle du recrutement et un profond malaise dans le monde enseignant.
Enseigner sans Capes : quand le rectorat de Dijon bouscule la notion de professeur
Dans son message adressé aux enseignants de l’académie, le rectorat propose un dispositif inédit : autoriser des professeurs d’autres disciplines à enseigner le français, sans passer par le Certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (Capes) ni par l'agrégation. Pour obtenir cette autorisation, il suffit d’avoir un « bagage littéraire », d’envoyer un CV, et de se présenter à un entretien de 30 minutes au cours duquel le candidat expose un cours fictif et discute du programme.
Le tout se solde par une attestation délivrée pour un an, à condition que les « compétences à enseigner en lettres soient reconnues », selon le rectorat cité par 20 Minutes. Le rectorat justifie cette expérimentation comme une réponse à la crise aiguë du recrutement, notamment en français, où plus de soixante classes seraient actuellement sans enseignant dans l’académie.
Une formation rapide ? Les syndicats crient au scandale éducatif
L’annonce a provoqué une levée de boucliers immédiate du côté des organisations syndicales. Pour Maxime Lacroix, secrétaire académique de l’Unsa Dijon, le jugement est sans appel : « Ce sont des profs au rabais », souligne 20 Minutes. Même ton pour le SNES-FSU, qui parle d’un dispositif « dégradant », tournant en dérision cette initiative via une affiche parodique baptisée “BricoEduc”. Une campagne moqueuse qui détourne les codes des grandes enseignes de bricolage pour dénoncer l'improvisation du rectorat.
Philippe Bernard, cosecrétaire académique du SNES-FSU Dijon, va plus loin en pointant les racines du mal : « Le vrai problème est dans le recrutement : ce métier n’attire plus car il n’est plus reconnu et pas valorisé financièrement ». Pour lui, cette mesure n’est qu’un emplâtre sur une fracture ouverte, provoquée par une succession de politiques publiques négligentes envers le corps enseignant.
Professeurs en 30 minutes ? Des « bricolages » qui traduisent une panne systémique de l’enseignement
Sur Franceinfo, Sophie Vénétitay, secrétaire générale du SNES-FSU, dénonce une initiative « indigne du service public ». Selon elle, cette expérimentation est une « tromperie pour les élèves et leurs familles » et reflète un “mépris pour le métier d’enseignant”. Elle déplore qu’on en arrive à confier des heures de français à des enseignants non qualifiés, sous couvert d’urgence.
Même son de cloche sur Orange Actu, qui rapporte que le rectorat tente de « bricoler » des solutions de court terme face à une crise nationale de recrutement, transformant des disciplines fondamentales en variables d’ajustement administrative. Le syndicat y dénonce une école publique « à la dérive », où l'on peut désormais « décrocher une salle de classe en 30 minutes chrono », à l’image d’un service express… mais sans garantie ni formation.
La réalité derrière l’urgence : postes supprimés, classes désertées, enseignants découragés
Au-delà de l’expérimentation dijonnaise, c’est un paysage sinistré qui se dessine. Sept postes de professeurs de français ont été supprimés à la dernière rentrée dans l’académie, selon les syndicats, alors que les besoins sont criants. Les enseignants titulaires sont déjà sollicités pour cumuler plusieurs matières, et cette nouvelle mesure ne fait que normaliser l’exception.
Le rectorat affirme pourtant vouloir uniquement évaluer ce dispositif pour la rentrée 2026-2027, mais la diffusion de la consigne dès mai 2025 et l’agitation syndicale montrent que la mécanique est déjà en marche. Et l’enjeu dépasse Dijon : si le principe est validé, d’autres académies pourraient suivre, au nom de la flexibilité. L’enseignement du français deviendrait-il une simple compétence transversale, détachée de l’exigence disciplinaire ?