Pourquoi Alstom a perdu le « contrat du siècle » en Belgique

Le scénario se profilait depuis plusieurs mois, il est désormais confirmé. La SNCB vient d’officialiser son choix en faveur de l’espagnol CAF pour le renouvellement massif de sa flotte ferroviaire. Une décision qui inflige un revers stratégique de taille au français Alstom.

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By Adélaïde Motte Published on 24 juillet 2025 13h50
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Pourquoi Alstom a perdu le « contrat du siècle » en Belgique - © Economie Matin
3,4 milliardsLe contrat entre CAF et SNCB est estimé entre 1,7 et 3,4 milliards d’euros

Le 23 juillet 2025, la Société nationale des chemins de fer belges (SNCB) a confirmé un choix stratégique lourd de sens : écarter le constructeur ferroviaire français Alstom au profit de l’espagnol CAF (Construcciones y Auxiliar de Ferrocarriles), pour le plus important marché public de son histoire. Ce contrat, d’une valeur estimée entre 1,7 et 3,4 milliards d’euros, prévoit la livraison de 600 nouvelles rames destinées à moderniser profondément la flotte belge d’ici à 2034.

CAF rafle le contrat du siècle, Alstom à quai

La décision, rendue publique à l’issue d’un Conseil d’administration de la SNCB, entérine l’attribution d’un contrat-cadre de 600 trains, dont 180 commandés dès maintenant pour 1,7 milliard d’euros. Le reste sera activé par tranches successives. CAF, seul finaliste retenu, a remporté l’appel d’offres face à deux géants européens : Alstom (France) et Siemens (Allemagne). Le constructeur espagnol a su convaincre grâce à une offre jugée plus compétitive, notamment en matière de consommation énergétique, de flexibilité de production et de capacité d’intégration des normes belges.

Le choix de CAF s’explique par une performance énergétique supérieure de 17 % par rapport aux propositions concurrentes. De plus, CAF livrera des trains à un coût unitaire plus faible et avec une promesse d’adaptation dynamique aux futures normes européennes.

SNCB : logique économique ou gifle industrielle ?

Ce contrat vise à renouveler l’essentiel du matériel roulant régional belge. L’objectif affiché : garantir 54 000 places assises supplémentaires sur les lignes intérieures, tout en répondant aux exigences climatiques et à la croissance attendue du trafic ferroviaire. Mais le choix de CAF n’est pas sans remous. Jean-Luc Crucke, ministre fédéral de la Mobilité,  précise qu'il « prend acte de cette décision autonome – conforme aux règles européennes » et « attend désormais que la SNCB la traduise en un projet industriel concret, ambitieux et structurant pour le rail belge ».

Les syndicats, eux, dénoncent un abandon pur et simple de l’industrie belge. Le site de Bruges, historiquement lié à la production ferroviaire d’Alstom, risque de perdre tout carnet de commandes. À Charleroi, où près de 1 300 salariés sont concernés, l’inquiétude est palpable. D'autant que la région est déjà traumatisée par les fermetures industrielles successives.

Alstom : entre désillusion française et choc belge

Pour Alstom, ce revers est d’autant plus douloureux qu’il s’inscrivait dans une logique de « 100 % Made in Belgium », avec une production entièrement localisée entre Bruges et Charleroi. Une promesse industrielle forte, balayée par un arbitrage que certains qualifient de strictement budgétaire. « C’est le coup de grâce pour le site d’Alstom à Bruges », résume un représentant de la CSC (Confédération des syndicats chrétiens) dans RTBF. Le président du parti MR, Georges-Louis Bouchez, a quant à lui dénoncé une trahison stratégique.

En France, la décision est perçue comme une mise à l’écart incompréhensible d’un champion national. Alstom, qui a récemment consolidé sa position en Europe avec l’intégration de Bombardier Transport, perd ici un contrat emblématique dans un pays partenaire et voisin.

Conséquences industrielles et politiques en Belgique

Le dossier ne se limite pas à une simple attribution technique. Il soulève des interrogations profondes sur la politique industrielle belge. Pourquoi avoir privilégié un constructeur étranger malgré des propositions localisées ? Quelle sera la contrepartie industrielle réelle de CAF ?

La SNCB, pour sa part, se défend d’avoir cédé aux sirènes du low cost. Son PDG insiste sur la conformité du processus avec le droit européen et sur le « critère central de performance environnementale ».

Une décision révélatrice d’un virage européen

La mise à l’écart d’Alstom pourrait être le symptôme d’un tournant plus global dans les logiques de passation des marchés publics européens. L’argument du coût et de l’efficacité l’emporte de plus en plus sur les considérations de souveraineté industrielle ou d’ancrage local. Pour la Belgique, pays frontalier de la France, où de nombreuses infrastructures ferroviaires ont été historiquement conçues par Alstom, cette décision constitue un véritable basculement.

Le contrat CAF/SNCB s’étalera sur dix ans. La première rame est attendue pour 2029. Si CAF tient ses engagements, le pari industriel belge pourrait se révéler gagnant. Mais les sites de Bruges et Charleroi, eux, ne pourront compter que sur des miracles pour combler ce vide.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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