Si la situation au Moyen-Orient est grave, les craintes d’une inflation similaire à celle des années 1970 pourraient être infondées, selon Kim Catechis, du Franklin Templeton Institute. Il analyse ce qui s’est réellement passé il y a 50 ans et en quoi le monde est différent aujourd’hui.
Face à l’escalade au Moyen-Orient et à la flambée des prix du pétrole, quelle sera la prochaine étape ?

Le déclenchement d’un conflit militaire entre Israël et l’Iran fait peser une incertitude importante sur l’économie mondiale et les marchés financiers, comme en témoignent les récents mouvements de volatilité sur les marchés obligataires, actions, de l’énergie et des changes. Les investisseurs craignent à juste titre que le conflit ne s'étende, mettant en péril l'approvisionnement énergétique mondial et perturbant les principales voies de transport internationales, ce qui viendrait s'ajouter à d'autres sources d'incertitude géoéconomique. L'une des principales préoccupations est la possibilité d'une flambée des prix du pétrole qui entraînerait un retour à une inflation élevée. Toutefois, comme nous le résumons ci-dessous, nous estimons que le risque d’un retour à une inflation de type années 1970, provoquée par la hausse des prix du pétrole, reste relativement faible.
Les années 1970
‘La Grande Inflation’ des années 1970 a duré de 1965 à 1982 et a déclenché une longue et difficile période de chômage et de récession. Son héritage a profondément marqué toute une génération de banquiers centraux et d’investisseurs, et a été étudié par la génération suivante. Les analyses contemporaines ont attribué cet épisode à divers facteurs, notamment l’embargo pétrolier de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), le comportement opportuniste des entreprises et la fermeté des syndicats.
Toutefois, il est important de noter que les pressions inflationnistes étaient déjà présentes avant les chocs pétroliers des années 1970. Aux États-Unis, l’inflation atteignait 5,8 % en 1970, alors que le gouvernement finançait massivement la guerre du Vietnam et augmentait les dépenses sociales. Au Japon, elle était de 6,4 %. Au Royaume-Uni, l’inflation s’élevait à 9,4 % en 1971. Les pics ont été atteints en 1974 (Union européenne : 13 %, Japon : 23 %), en 1975 (Royaume-Uni : 24 %) et en 1980 (États-Unis : 13,5 %)¹.
Il est, bien sûr, exact qu’en 1973, l’OPEP a imposé un embargo sur les exportations de pétrole vers les États-Unis et les pays européens, provoquant une envolée des prix allant jusqu’à 400 % en quelques jours, entraînant des rationnements et déclenchant une récession généralisée dans ces régions.
Cependant, le lien entre inflation et prix du pétrole reste ténu, comme le montre la Réserve fédérale de Dallas².
- Les perturbations de l’offre pétrolière dues à des facteurs géopolitiques, notamment celles provoquées par l’OPEP, n’expliquent pas à elles seules la hausse des prix du pétrole.
- Des modèles structurels prenant en compte à la fois les variations de l’offre et de la demande sur les marchés mondiaux du pétrole indiquent que ce sont principalement des chocs de demande qui ont conduit à ces hausses de prix.
- Des pressions inflationnistes plus larges expliquent également les fortes augmentations des prix d’autres matières premières industrielles (par exemple, le papier et la pâte à papier, les métaux recyclés, le bois) au début des années 1970. Ces hausses ont précédé celle du prix du pétrole, compte tenu des contraintes réglementaires et contractuelles sur les prix du pétrole à cette époque.
L’argument avancé est que la hausse des prix du pétrole reflète une augmentation de la demande mondiale pour les matières premières industrielles, elle-même finalement causée par une politique monétaire expansionniste. Cela suggère que la montée des prix du pétrole était un symptôme, et non la cause, de la forte inflation américaine des années 1970. Non seulement l’inflation américaine partageait un facteur commun de demande avec les prix du pétrole, mais la hausse de l’inflation aux États-Unis a aussi poussé les prix du pétrole à augmenter en 1973-74, car les producteurs pétroliers de l’OPEP voyaient leur pouvoir d’achat en devises étrangères réel diminuer avec la dépréciation du dollar américain.
2025
La situation actuelle est, en tout cas, différente. Les États-Unis sont désormais le deuxième plus grand exportateur de pétrole au monde, tandis que la production iranienne est bien inférieure à celle des États-Unis³ et que l’Iran consomme environ la moitié de sa production sur son territoire, ne laissant ainsi que l’autre moitié à l’exportation. Par ailleurs, le principal client de l’Iran, la Chine, paie des prix fixes à l’avance, ce qui signifie que Téhéran ne bénéficie pas directement d’une envolée des prix du pétrole.
De plus, dans les années 1970, le panier de référence utilisé pour mesurer l’inflation au Royaume-Uni, en Europe et aux États-Unis, comprenait le pétrole, le kérosène et la paraffine utilisés comme carburant pour les transports, l’industrie, la navigation et le chauffage résidentiel, ce qui en faisait une part significative des dépenses des ménages. Aujourd’hui, plus de la moitié des nouvelles immatriculations de voitures en Europe et en Chine sont électriques ou hybrides. L’Union européenne produit 48 % de son électricité à partir de sources renouvelables, le Royaume-Uni 58 %⁴, la Chine 37 %⁵ et les États-Unis 40 %⁶. Si l’on cherche les plus fortes dépendances au pétrole, au gaz et autres combustibles fossiles, on trouve l’Arabie Saoudite (99 %), l’Iran (92 %), les Émirats arabes unis (74 %) et la Russie (64 %)⁷.
Pendant ce temps, l’OPEP augmente régulièrement sa production afin de récupérer des parts de marché perdues. Les premiers indicateurs suggèrent que la nouvelle stratégie de l’OPEP produit l’effet escompté : stimuler la demande en Asie tout en décourageant les investissements dans de nouvelles capacités de production en dehors de l’OPEP.
Le facteur à long terme probablement le plus important derrière la diminution de l’importance mondiale du prix du pétrole est que la demande chinoise, autrefois en forte croissance pour les importations de combustibles fossiles, semble atteindre un pic sur plusieurs sources d’énergie, en particulier le pétrole brut, mais aussi potentiellement le charbon et le gaz. Par conséquent, la Chine pourrait bientôt rejoindre l’Europe et l’Amérique du Nord comme troisième grande région économique mondiale à connaître un pic des importations de combustibles fossiles. Les émissions chinoises pourraient avoir atteint leur maximum grâce à son essor des énergies propres.
En conséquence, la croissance de la demande mondiale de pétrole devrait être nettement plus faible à l’avenir, les autres grandes économies émergentes, notamment l’Inde, ne compensant pas entièrement, selon nous, le ralentissement de la croissance chinoise passée.
Cela pourrait être positif pour les régions dépendantes des importations de carburant, notamment l’Asie du Nord-Est, l’Europe et l’Inde, tout en représentant un défi budgétaire pour les pays producteurs, y compris les États membres de l’OPEP et la Russie.
Pour les États-Unis, un ralentissement de la croissance de la demande en pétrole aurait un impact mitigé, le pays étant à la fois le premier producteur mondial de pétrole et de gaz et le plus grand consommateur d’énergie.
Notes :
- Source de toutes les données sur l’inflation : World Bank Group Data, worldbank.org. Consulté le 16 juin 2025.
- Source : Kilian, Lutz. « Oil Price Shocks and Inflation. » Federal Reserve Bank of Dallas. Mars 2024.
- Source : CEIC. L’Iran produisait environ 3,3 millions de barils par jour (Mb/j) en janvier 2025.
- Source : « Britain’s Electricity Explained: 2024 Review. » National Energy System Operator (NESO). Janvier 2025.
- Source : Chine. Ember Energy. Mise à jour du 9 avril 2025.
- Source : « Electric Power Monthly. » US Energy Information Administration. Mai 2025.
- Source : Countries and Regions. Ember Energy.