Mobilité urbaine et villes intelligentes: comment l’IA optimise les flux en milieu urbain

À la gare de Las Matas, située à Las Rozas au nord de Madrid, la vie suit son cours normal. Le bruit d'une autoroute se fait entendre en arrière-plan tandis qu'un train entre en gare. Devant la gare, sur le rond-point, un vendeur de churros propose ses produits aux passants qui traversent ce carrefour très animé. Une scène ordinaire de la banlieue espagnole.

Mais, à l'insu des passants, des caméras intelligentes observent et analysent discrètement le mouvement des piétons et des véhicules pour étudier l'utilisation de l'espace et la façon de l'optimiser. Au cœur de ce rond-point ordinaire, se dessine le futur de l'aménagement urbain.

Un urbanisme adapté aux usagers

Las Rozas est l'un des terrains d'essai des chercheurs du projet AMIGOS, financé par l'UE, qui exploite des technologies avancées comme l'IA et l'analyse de données pour améliorer le cadre de vie des métropoles en constante effervescence.

Le projet est étroitement lié à la mission «Villes» de l'UE, qui ambitionne de transformer 112 villes européennes en zones neutres en carbone et intelligentes d'ici 2030, en faisant de ces villes des centres d'innovation pour un développement urbain durable.

Les caméras utilisées par l'équipe AMIGOS ont été développées par l'Institut autrichien de technologie et fonctionnent grâce à l'intelligence artificielle. Cette technologie permet aux chercheurs d'analyser en peu de temps des mois d'enregistrements et de se faire une idée précise du fonctionnement des espaces urbains. Les données ainsi collectées sont précieuses pour les urbanistes qui souhaitent repenser les espaces publics en prenant en compte les besoins réels des citoyens.

Ce projet aborde les questions essentielles que chaque citoyen se pose. Des questions telles que: «’Est-ce que je peux laisser mes enfants aller seuls à l'école en toute sécurité?'», a déclaré Martin Krekeler, qui travaille pour la Chancellerie du Sénat de la ville de Hambourg en Allemagne et coordonne l’équipe AMIGOS.

Un site expérimental

Dans un premier temps, l'objectif des chercheurs est d'améliorer la sécurité et le confort des résidents de Las Matas, un secteur où se croisent une autoroute menant à Madrid, une gare, un parking et plusieurs petites artères.

«Notre ville fait face à de nombreux défis», a déclaré Nuria Blanco Caballero, qui travaille pour Las Rozas Innova, l'agence d'innovation locale. La commune de Las Rozas est très étendue. Trois autoroutes traversent la ville et le trafic en provenance et en direction de Madrid est très dense.

«Les interactions entre véhicules et piétons sont fréquentes ici», a précisé Mme Blanco Caballero. «Cette situation génère des risques.»

Au programme, la rénovation complète des abords de la gare de Las Matas incluant l'amélioration de la sécurité, des espaces de stationnement pour les vélos et scooters électriques, des stations de recharge pour véhicules électriques et un espace de covoiturage.

Les données collectées par les caméras des chercheurs ont été combinées aux commentaires reçus lors des sondages auprès des usagers locaux afin d'orienter les plans de rénovation.

«Nous avons notamment remarqué que les piétons n'utilisaient pas toujours les passages protégés», a mentionné Mme Blanco Caballero. «Il est clair que cela peut provoquer des situations dangereuses.»

Actuellement, Las Rozas entreprend la rénovation de la zone avec l'installation de barrières de sécurité en béton, de nouveaux trottoirs et une meilleure signalisation au sol. Il s'agit d'un bon exemple de la façon dont les nouvelles technologies peuvent aider les villes à prendre des décisions plus adaptées et mieux informées, en accord avec les besoins du public.

L'IA en milieu urbain

Des caméras à IA semblables à celles utilisées à Las Rozas sont déployées dans d'autres villes européennes dans le cadre d'une autre initiative de l'UE appelée ELABORATOR, coordonnée par le Dr Angelos Amditis, directeur R&D à l'Institut des systèmes Informatiques de communication de l'Université technique nationale d'Athènes.

À titre d’exemple, Copenhague recourt à des caméras intelligentes pour analyser les flux de trafic et comprendre ce qui s’est passé lors d’accidents ou d’incidents évités de justesse.

Dans le cadre de cette même initiative, la commune d'Issy-les-Moulineaux, en périphérie de Paris, a installé un système de signalisation dynamique. L'aménagement d'un carrefour est adapté à l'affluence des usagers et à leur profil, avec davantage d'espace pour les cyclistes et des notifications pour avertir les conducteurs de leur présence. Le système emploie l'IA pour automatiser cette gestion.

«L'utilisation de l'IA est essentielle,» a déclaré M. Amditis. «C'est l'un des seuls moyens de traiter d'importantes masses de données en temps réel, ce qui est crucial dans des contextes urbains en constante évolution,» a-t-il ajouté.

L'apprentissage par l'exemple

L'objectif commun des équipes de ces deux initiatives est de constituer un modèle à suivre pour les autres villes. L'équipe du projet AMIGOS travaille actuellement en étroite collaboration avec 10 villes: Gabrovo (Bulgarie), Lappeenranta (Finlande), Hambourg (Allemagne), Reykjavik (Islande), Nazareth (Israël), Bologne (Italie), Jurmala (Lettonie), Las Rozas (Espagne), Ankara et Istanbul (Turquie).

D'autre part, elle coopère avec cinq villes jumelles qui essaieront de répliquer les résultats obtenus dans ces villes pilotes: Laval en France, Francfort et Wiesbaden en Allemagne, Um-al Fahm en Israël, et Gozo à Malte.

Pour ce qui est de l'équipe de recherche du projet ELABORATOR, six villes sont actuellement engagées dans des projets pour améliorer le confort et la sécurité de la vie urbaine. Il s'agit de Copenhague (Danemark), Helsinki (Finlande), Issy-les-Moulineaux (France), Trikala (Grèce), Milan (Italie), et Saragosse (Espagne).

Six autres villes, à savoir Split (Croatie), Liberec (Tchéquie), Ioannina (Grèce), Kruševac (Serbie), Velenje (Slovénie), et Lund (Suède), suivront les enseignements de cette première phase.

L'IA et l'analyse des données sont des outils essentiels pour ces deux équipes de recherche, qui sont bien conscientes des risques et accordent une grande importance à la protection de la vie privée.

Les résidents locaux sont régulièrement informés des actions entreprises. Parallèlement, l'objectif est de diminuer la dépendance des villes vis-à-vis des grandes entreprises technologiques pour l'accès à la technologie et aux données.

«Les villes ont besoin de données», a déclaré M. Krekeler. «Mais, aujourd'hui, ces données sont souvent entre les mains d'entités privées, et les villes sont contraintes de les acheter.»

La voix des citoyens

Au cœur de ces projets, il y a la volonté de transformer la manière de faire de la politique, en tenant compte de la voix des citoyens. Pour ce faire, ils bénéficient du soutien de l'UE qui cherche à accélérer les transformations écologiques et numériques dans les villes, dans le cadre de sa Mission «Villes» et du Pacte Vert européen.

«Nous ne pouvons ignorer le fait que les citoyens sont frustrés», a souligné M. Krekeler. «C'est pourquoi il est si important d'utiliser la technologie pour les consulter sur leur ville et observer la façon dont ils l'utilisent.»

À Las Rozas, les travaux de rénovation de la zone de Las Matas sont presque achevés. L'étape suivante sera d'appliquer cette approche à l'ensemble de la commune. L'objectif de cette seconde phase est de fluidifier le trafic autour des écoles.

«La cocréation est fondamentale», a précisé M. Blanco Caballero. «Nous devons adapter nos initiatives aux besoins réels des citoyens. La technologie peut nous aider à y parvenir.»

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme Horizon de l’UE. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.