Mark Carney, un économiste au profil austère vient de devenir Premier ministre au Canada. Derrière les sourires policés et les déclarations techniques, une guerre s’annonce. Elle ne sera ni froide, ni tiède. Elle sera monétaire, climatique, identitaire. Et surtout : transfrontalière.
Mark Carney : l’économiste qui défie Trump depuis le Canada

Mark Carney devient Premier ministre du Canada
Le 28 avril 2025, dans un climat de défiance commerciale et diplomatique aigu entre Ottawa et Washington, Mark Carney a mené les libéraux canadiens à la victoire lors des législatives anticipées. Le Canada change de visage : le technocrate succède à Justin Trudeau, avec qui il partage le drapeau, mais pas l’allure.
C’est un économiste – au sens plein du terme – qui prend le pouvoir. Mark Carney n’avait jamais été élu. Il n’avait même jamais fait campagne, jusqu’à cet étrange mois de janvier où il a, en quelques jours, conquis le Parti libéral et le fauteuil de Premier ministre. Un saut dans le vide pour un homme habitué aux calculs différenciés, pas aux joutes partisanes. Et pourtant, « les Canadiens ne savent presque rien de lui », avertissait Darrell Bricker d’Ipsos Canada. Ce quasi-anonyme a pourtant obtenu 63,7 % des suffrages dans la circonscription de Nepean, selon CBC.
Mark Carney face à Trump : quand le Canada redevient une frontière
Sous des airs feutrés, c’est un combattant. Celui qui dirigeait la Banque d’Angleterre pendant le Brexit est désormais le général du Canada. Mark Carney, lui, a rétorqué, sans ambages : « Trump tente de nous briser pour nous posséder. Ça n’arrivera jamais. »
« Lorsque nous sommes menacés, nous allons nous battre. […] Nous protégerons nos commerces et nos travailleurs, et nous construirons un futur indépendant pour notre grand pays », a-t-il lancé. Dans une phrase devenue virale, il a même déclaré qu'on pouvait comparer le comportement de Donald Trump à Voldemort « à celui de Voldemort. »
L’homme fort d’Ottawa n’entend plus se contenter de pactes commerciaux déséquilibrés. Face à l’intention américaine d’imposer des tarifs douaniers sur l’acier et l’automobile, Carney se dit prêt à « imposer des contre-tarifs jusqu’à ce que les Américains nous montrent du respect ». La tension entre les deux voisins est maximale.
Mark Carney, l’économiste du climat qui veut une souveraineté verte
Mais Mark Carney ne se résume pas à ses piques contre Washington. Il a l’élégance venimeuse d’un banquier central devenu prophète climatique. Natif du Grand Nord, il se dit marqué par la fonte des glaces : « Le Grand Nord natal est désormais en train de fondre, enclenchant un processus qui relâche du CO2 et du méthane, ce qui accélère le réchauffement climatique », écrivait-il en 2021.
Et il a les moyens de son ambition. Mark Carney a été gouverneur de la Banque du Canada (2008), puis de la Banque d’Angleterre (2013-2020). En 2019, il est nommé envoyé spécial de l’ONU pour le climat. En 2021, il lance la Glasgow Financial Alliance for Net Zero.
Sa vision ? Une économie canadienne décarbonée, intégrée, fédérée. « Nous allons construire une seule économie canadienne, pas 13 », promet-il, visant la fin des barrières commerciales interprovinciales. Un message à double tranchant : unité intérieure contre ingérence extérieure. Il incarne ce virage que Bercy n’ose pas encore articuler : une gouvernance climatique appuyée sur le crédit.
La triple nationalité reniée, la souveraineté assumée
Mark Carney n’est pas que canadien. Il était aussi irlandais et britannique. Ou plutôt, il l'était. Car au moment de briguer le poste suprême, il a fait savoir qu’il renoncerait à ses autres passeports : « Je ne juge pas [ceux qui ont plusieurs passeports]. Je dis simplement qu’en tant que Premier ministre, je devrais avoir seulement une nationalité ». Pour un homme qui a passé treize ans chez Goldman Sachs, le symbole est fort.
Mark Carney veut renforcer les échanges économiques avec l’Europe. Et si les barrières tombent entre provinces canadiennes, c’est aussi pour créer un interlocuteur unique face à Bruxelles. Le consommateur français pourrait y gagner : moins de frais de douane, plus de produits canadiens, notamment dans l’agroalimentaire et les technologies vertes. Et pourquoi pas un jour, une vraie alliance transatlantique… sans Washington.
D’un point de vue climatique, les ambitions canadiennes croisent celles de l’Union européenne. Avec Mark Carney, Ottawa pourrait devenir un partenaire stratégique pour Paris, au moment où les États-Unis se replient sous une présidence Trump de plus en plus agressive.
Mark Carney, technocrate ou tribun ?
Il n’a pas le charisme de Trudeau, ni ses postures médiatiques. « Un technocrate », « ennuyeux », selon Daniel Béland de l’Université McGill. Mais il a le feu froid des banquiers qui comprennent la dette, la monnaie, le climat et la diplomatie. Et cela suffit parfois à gouverner. Surtout quand le voisin est un ogre.