L’ouverture de la saison des résultats (publication des résultats financiers des entreprises) semble avoir eu un effet positif sur le marché. Combinée à une relative accalmie sur le plan des communications anxiogènes de la Maison-Blanche, cette période a permis aux investisseurs de se recentrer sur les fondamentaux. Les marchés ont dans l’ensemble été un peu moins influencés par les indicateurs de sentiments et la confiance des consommateurs, qui avaient joué un rôle prépondérant dans l’évolution des cours depuis l’élection de Donald Trump.
La saison des résultats recentre les investisseurs sur les fondamentaux

Après une forte hausse début avril, la volatilité a finalement baissé de moitié, et les marchés ont rebondi de 12% à fin avril depuis les points bas du début du mois, tant aux États-Unis (S&P 500), qu’en Europe (Euro Stoxx 600) ou en Chine (Hang-Seng). On a pu observer un rebond très homogène des différentes zones économiques, et la fin de
la surperformance des marchés européens initiée début 2025. Aux États-Unis, un record vieux de 20 ans est même tombé, avec la plus longue série de hausses journalières du S&P 500, soit neuf jours de hausses consécutives jusqu’au 2 mai, jour de publication du rapport de l’emploi. Les spreads de crédits, qui s’étaient écartés d’un peu moins de 50 bps pour les obligations d’entreprises de bonne qualité et de près d’environ 2% pour la partie à haut rendement (sans commune mesure avec les périodes de récessions récentes connues durant la crise du Covid en 2020 ou des subprimes en 2008) ont rendu la moitié de cette hausse de prime.
La saison des résultats a pour l’instant bien commencé avec la publication des chiffres du premier trimestre de plus des trois quarts des sociétés aux États-Unis et de la moitié en Europe. À ce stade, la décélération attendue de la croissance des bénéfices 2025 se confirme, notamment aux États-Unis, avec une progression de 8% en moyenne contre 12% attendu en début d’année, et de 4% contre 8% prévu en Europe. Les résultats publiés à ce stade sont assez robustes, près de 80% des sociétés ayant battu les attentes pour le 1er trimestre 2025 aux États-Unis et plus de 60% en Europe, par rapport à une moyenne historique de respectivement 69% et 55%.
Bien que ces résultats soient relativement solides, les prévisions le sont un peu moins, et l’anticipation de l’impact des tarifs est peu à peu intégrée. Les marchés s’attendent maintenant à plus de trois baisses de taux de la Réserve fédérale américaine (Fed) d’ici 1 an, soit un taux terminal proche de 3.5% en mai 2026 contre 4.30% actuellement. De plus, l’expiration de près de 9'000 milliards de dette publique américaine devrait faire pression sur les taux longs et amener à une repentification de la courbe. En effet, la détermination du Trésor américain de renouveler cette dette à plus long terme devrait entrainer une offre importante sur des maturités plus longues, que les fonds de « money markets » et la Fed ne pourront pas absorber seuls. Nous continuons de sous-pondérer la dette souveraine dans nos portefeuilles et maintenons une duration faible. En Europe, l’impact des tarifs douaniers sur un potentiel ralentissement économique n’est pas vu uniquement sous un angle négatif par les marchés. En effet, ce ralentissement pourrait avoir un impact baisser sur l’inflation, ce qui permettrait à la BCE de poursuivre ses baisses de taux après 7 baisses consécutives.
Cependant, il convient de tempérer tout excès d’optimisme car ces résultats du premier trimestre ont été réalisés avant le « liberation day », ou l’annonce de tarifs douaniers massifs le 2 avril et les revirements qui ont suivi, bouleversant significativement les échanges commerciaux. Les entreprises, notamment américaines, ont reconstitué des stocks importants durant le premier trimestre par le biais d’importations massives en amont de l’annonce des tarifs. La publication des résultats du deuxième trimestre, ainsi que la vigueur économique et la visibilité offerte ou non par l’administration américaine, nous révèleront si ces réserves ont été plus ou moins rapidement épuisées.
Cela crée néanmoins des chocs sur les chaînes d’approvisionnement, lesquels risquent de provoquer des ruptures de stocks et une chute des commandes à l’avenir, notamment de produits chinois. Ceci s’est déjà reflété dans la baisse de moitié du nombre de containers au départ de la Chine au mois d’avril selon Bloomberg. Des pénuries de produits chinois, notamment aux États-Unis, devraient créer un phénomène de rareté, comme en 2022 lors du Covid en Chine, et faire monter les prix jusqu’à une éventuelle désescalade des tarifs permettant une reprise graduelle des échanges commerciaux. Or, une telle normalisation potentielle de la demande pourrait provoquer à son tour une saturation des capacités de transport, étant donné que le nombre de navires marchands est limité. Ceci pourrait engendrer une hausse des coûts de transport, ce qui se répercuterait à nouveau sur les prix de vente aux États-Unis et sur les marges des entreprises. Les chiffres d’inflation devraient donc rester très volatiles ces prochaines semaines, entre inflation liée aux droits de douane et aux coûts de transport, contrebalancée par un pétrole moins cher, ce qui compliquera considérablement les prises de décisions de la Fed.
Néanmoins, les bonnes nouvelles du premier trimestre, notamment les bons résultats du secteur technologique, ont permis aux marchés de poursuivre sur leur lancée fin avril-début mai grâce aux fondamentaux solides des entreprises, et ceci malgré un début de détérioration de certaines données macro-économiques. En effet, le PIB américain au premier trimestre s’est contracté de -0.3% en rythme annualisé et les prévisions de croissance économique de la majorité des grandes zones mondiales ont été revues à la baisse par de nombreux économistes ainsi que par le Fonds Monétaire International.
La dichotomie entre les indicateurs de sentiment très négatifs et la faible baisse des allocations d’actifs dans les actions américaines comme le montre l’enquête de l’AAII des investisseurs particuliers américains (American Association of Individual Investors) est intéressante. Certes, un mouvement de désengagement a été observé, principalement de la part de clients européens et asiatiques, cependant l’ampleur des ventes d’actions américaines a été bien moins importante que lors des grandes périodes de paniques observées lors des dernières décennies, comme le souligne Goldman Sachs. Historiquement, même lors de telles fuites massives de capitaux limitées dans le temps, les marchés américains ont poursuivi leur hausse dans sept cas sur dix à moyen terme, les principales exceptions étant 1987, 1990 et 2022. Les marchés semblent pour l’instant vouloir « acheter les bonnes nouvelles » et le momentum est un allié puissant depuis la mi-avril.
L’incertitude est certes toujours présente, et tend à augmenter les risques de récession. Il serait cependant bien hasardeux de se risquer à une probabilité précise, tant le pouvoir prédictif des indicateurs de sentiments sur l’économie réelle a diminué depuis le Covid. Le marché obligataire, généralement considéré comme un indicateur plus fiable de récessions potentielles que le marché des actions, ne reflète pas actuellement de risque de récession très prononcé.
N’oublions pas que l’évolution des marchés financiers depuis plus d’un siècle est en moyenne positive d’environ 8% par an. Ainsi, toute décision de réduction de son exposition en actions ne doit suivre qu’un but précis, au-delà de la réduction de la volatilité dans les portefeuilles : la certitude profonde de pouvoir racheter à un prix plus bas. Dans le cas contraire, une construction de portefeuille robuste, tant factorielle qu’en terme de diversification de types d’actifs, doit permettre de maintenir une volatilité tolérable tout en continuant de capter au mieux la hausse des marchés à moyen et long terme. Dans les phases de corrections importantes, la panique des investisseurs à court terme profite à ceux qui adoptent un horizon d’investissement à long terme. En effet, depuis 1950 les phases de « bull market » sont en moyenne près de quatre fois plus longues que les phases de « bear market » et ont des amplitudes de performance cinq fois plus importantes.
Nous avions récemment renforcé notre exposition en actions, notamment américaines à la suite du « liberation day ». La poursuite du momentum ainsi que la résilience des publications économiques dans les semaines à venir (et en particulier les rapports d’inflation du mois d’avril) seront cruciales pour confirmer cette préférence.