La France investit 119 millions pour que l’IA surveille la santé de vos salariés

Imaginez pouvoir prédire qu’un salarié va faire un burn-out trois semaines avant qu’il ne s’effondre. Ou détecter qu’un ouvrier développe des troubles musculo-squelettiques avant même qu’il ne ressente la moindre douleur. Science-fiction ? Non, réalité 2025.

Dr Vinh Ngo
By Vinh Ngo Published on 18 juin 2025 4h30
Projet Stargate : Trump annonce 500 milliards pour l’IA
Projet Stargate : Trump annonce 500 milliards pour l’IA - © Economie Matin
67%67% des salariés placent le bien-être au cœur de leurs préoccupations.

Quand l'IA sauve des vies au bureau

Marie, comptable de 38 ans, ne se doute de rien ce mardi matin. Pourtant, l'algorithme de son entreprise vient de détecter des signaux alarmants : rythme cardiaque élevé constant, baisse de productivité, messages envoyés à des heures tardives. Conclusion de l'IA : risque de burn-out imminent. Trois semaines plus tard, Marie remercie sa DRH de l'avoir orientée vers un accompagnement préventif qui lui a évité le pire.

Cette histoire, encore fictive aujourd'hui, pourrait bien devenir banale demain. Car l'intelligence artificielle s'apprête à révolutionner notre approche de la santé au travail, passant d'une médecine qui répare à une médecine qui anticipe.

119 millions d'euros : la France mise tout sur l'IA médicale

Le gouvernement français ne plaisante pas avec le sujet. En février 2025, Yannick Neuder, ministre de la Santé, a annoncé un investissement de 119 millions d'euros pour former 500 000 professionnels de santé à l'IA d'ici cinq ans. Du jamais vu.

"Il faut former les soignants pour qu'ils soient à l'aise avec son utilisation", insiste le ministre. Dès septembre 2025, tous les étudiants en médecine, pharmacie et soins infirmiers devront suivre des modules d'IA obligatoires. Une révolution pédagogique qui place la France en tête de course mondiale.

Pourquoi cette urgence ? Parce que les enjeux économiques sont colossaux. En France, l'absentéisme coûte plusieurs milliards d'euros par an aux entreprises. Une prévention plus efficace pourrait transformer cette facture en investissement rentable.

L'INRS explore déjà l'avenir du travail

Dès 2022, l'Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS) avait anticipé cette révolution. Dans son étude prospective "L'intelligence artificielle au service de la santé et sécurité au travail : enjeux et perspectives à l'horizon 2035", l'organisme a exploré les possibilités technologiques qui se dessinent.

Le tableau qu'il dresse donne le vertige : des capteurs connectés analyseront en permanence notre état physique et mental, des caméras intelligentes détecteront les postures dangereuses sur les chantiers, des algorithmes croiseront nos données médicales, notre historique professionnel et notre environnement de travail pour établir des "profils de risque" ultra-précis.

"L'IA ouvre des possibilités de supervision d'environnements de travail qui permettront de soustraire certains travailleurs à des risques", explique l'INRS. Imaginez un algorithme qui repère qu'un conducteur de poids lourd montre des signes de fatigue et lui propose automatiquement une pause. Ou un système qui détecte une concentration anormale de produits chimiques et évacue préventivement les zones à risque.

La révolution du "avant que ça arrive"

Le vrai bouleversement ? Le passage du curatif au prédictif. "Plutôt que de constater les dégâts, nous pouvons désormais les anticiper", explique un expert du secteur. C'est exactement cette philosophie d'anticipation que cultive le CIAMT depuis ses 70 ans d'existence, toujours à l'avant-garde des évolutions de la médecine du travail.

Prenons l'exemple des troubles musculo-squelettiques (TMS), première cause d'arrêt maladie en France. Aujourd'hui, on les détecte quand le salarié a déjà mal. Demain, l'IA analysera ses mouvements, sa posture, la répétitivité de ses gestes pour intervenir avant l'apparition des premiers symptômes.

Même logique pour le stress et le burn-out. En croisant données physiologiques (rythme cardiaque, qualité du sommeil), comportementales (heures de connexion, temps de réponse aux emails) et organisationnelles (charge de travail, conflits), l'IA pourra alerter les managers avant que leurs équipes ne craquent.

Les entreprises gagnantes prennent déjà de l'avance

Cette révolution technologique redessine déjà la carte de la compétitivité. Les entreprises qui intégreront intelligemment l'IA dans leur stratégie de prévention prendront une longueur d'avance considérable. Non seulement en réduisant leurs coûts d'absentéisme, mais aussi en devenant plus attractives sur un marché du travail où 67% des salariés placent le bien-être au cœur de leurs préoccupations.

Certains groupes l'ont compris. La Poste forme déjà 70 000 postiers à l'IA et vise l'ensemble de ses collaborateurs fin 2025. D'autres secteurs suivront rapidement, conscients que la prévention augmentée devient un avantage concurrentiel décisif.

Concrètement, cette IA prédictive permettra d'optimiser les diagnostics, d'automatiser certaines tâches administratives pour redonner du temps aux soignants, et de fluidifier les parcours de prise en charge, comme le souligne l'état des lieux gouvernemental publié en février.

Attention aux dérives

Mais gare aux effets pervers. L'INRS met en garde dès 2022 : "La logique de rentabilisation peut amener à positionner ces systèmes au centre de l'organisation du travail, au risque de placer le travail humain au second plan."

Comment éviter le cauchemar d'une surveillance généralisée déguisée en bienveillance ? Comment préserver la confidentialité des données de santé ? Comment maintenir cette relation humaine indispensable au soin ? Autant de questions éthiques cruciales qu'abordera la feuille de route nationale attendue avant l'été 2025.

L'humain reste au centre

Car derrière les algorithmes, il y aura toujours des femmes et des hommes. L'IA ne remplacera jamais l'écoute d'un médecin du travail ou le conseil personnalisé d'un ergonome. Elle les rendra simplement plus efficaces, plus précis, plus préventifs.

"L'IA ne remplacera pas le soignant, elle renforcera son rôle premier : le conseil et l'accompagnement", rassure un expert du secteur. Une évolution que les pionniers de la médecine du travail, habitués depuis des décennies à s'adapter aux révolutions technologiques, sauront accompagner avec discernement.

Dr Vinh Ngo

Le Dr Vinh Ngo est directeur général du CIAMT, acteur majeur de la santé au travail en île de France.

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