Un rapport parlementaire a mis le feu aux poudres le 18 juin : 1,86 milliard d’euros de ristournes fiscales ont été accordés en 2024 par le fisc français dans le cadre de procédures appelées « règlements d’ensemble ». Ce chiffre colossal, dénoncé par les députés Mathilde Feld (La France insoumise) et Nicolas Sansu (Parti communiste), relance un débat sensible sur l’opacité des arrangements entre administration fiscale et entreprises, qui se déroulent loin des regards et du droit public.
Fisc et entreprises : des milliards d’euros effacés dans la plus grande discrétion

Des arrangements fiscaux discrets qui explosent les compteurs
Depuis la mise en œuvre d’un amendement déposé en 2020 par la députée socialiste Christine Pirès Beaune, le fisc est désormais contraint de révéler les contours de ces fameux « règlements d’ensemble ». Derrière ce jargon administratif se cache une réalité simple, un redressement fiscal peut être revu à la baisse, tant sur le montant des impôts dus que sur les pénalités, dès lors qu’une entreprise accepte de négocier.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, 7,5 milliards d’euros de ristournes depuis 2019, dont 1,86 milliard d’euros rien qu’en 2024, selon le rapport parlementaire déposé à l’Assemblée nationale. Sur les 315 règlements enregistrés l’année dernière, 223 concernaient des entreprises, dont certaines figures emblématiques du capitalisme mondialisé comme Amazon, Apple ou L’Oréal. Des noms qui reviennent régulièrement dans les radars du contrôle fiscal… mais jamais dans les communiqués officiels, confidentialité oblige.
Fisc et entreprises : un jeu d’équilibre à huis clos
Pourquoi ces négociations ? Le fisc se justifie par une logique d’efficacité : notifier de gros redressements au départ, puis inciter les entreprises à transiger rapidement afin d’accélérer le recouvrement et d’éviter des procédures contentieuses longues et incertaines. Mais la manœuvre laisse un goût amer : « En moyenne, les modérations consenties représentent 71,5 % des droits et pénalités initialement réclamés », notent les auteurs du rapport, cité par Challenge. Et la disproportion saute aux yeux.
En 2024, les dix plus gros dossiers totalisent 83 % du montant global des rabais. Un seul règlement atteint la somme faramineuse de 454 millions d’euros, tandis que 40 arrangements concernent des sociétés appartenant à un même groupe. « L’État doit s’inscrire dans une logique de long terme et la rentabilité de court terme ne saurait dicter sa conduite », écrivent Feld et Sansu, sans détour. Mais peut-on vraiment parler de stratégie fiscale quand aucune loi ne régit ces pratiques ? Car c’est bien là le cœur du problème.
Un dispositif sans base légale, sans publicité, sans contre-pouvoir
Malgré leur ampleur budgétaire, les règlements d’ensemble reposent uniquement sur deux notes internes, datées de 2004 et 2019. Aucun décret, aucun encadrement législatif. Et surtout, une opacité revendiquée, les négociations se font à l’oral, sans méthodologie uniforme, variant d’un service fiscal à l’autre. Résultat, un système réservé aux initiés. Les entreprises les mieux conseillées savent qu’elles peuvent demander un règlement. Les autres, en particulier les petites structures, l’ignorent.
Le rapport évoque un « dispositif de niche », une justice fiscale discrétionnaire, où les bataillons d’avocats jouent un rôle crucial. Et le pire ? En évitant les contentieux judiciaires, le fisc empêche la construction d’une jurisprudence claire, en particulier sur des zones grises comme la tarification des « prix de transferts », ces redevances versées entre filiales et maisons mères. Des sujets techniques, oui, mais qui justifient justement un cadrage juridictionnel.