Le diagnostic de performance énergétique (DPE) se voulait outil de référence pour guider la rénovation des logements. Mais à en croire les conclusions de la Cour des comptes, il s’apparente aujourd’hui à un terrain miné, truffé d’irrégularités et d’angles morts. Entre fiasco réglementaire, manque d’anticipation et dommages collatéraux, l’État est sommé d’agir.
DPE : 70 % d’anomalies, la Cour des comptes dénonce un système truffé d’erreurs et de fraudes

Le DPE : un outil central devenu source d’instabilité, selon la Cour des comptes
Le 3 juin 2025, la Cour des comptes a publié un rapport détonnant sur la mise en œuvre du diagnostic de performance énergétique (DPE). Ce diagnostic, désormais incontournable pour vendre, louer ou rénover un bien immobilier, est censé orienter les choix énergétiques des Français. Mais le document révèle un système miné par des défaillances techniques, une sur-réglementation précipitée, et des effets sociaux non anticipés. Au cœur du problème : la réforme de 2021, imposée à marche forcée sans évaluation d’impact globale.
Comme le résume sèchement l’institution : « Aucune étude d’impact globale préalable n’a été réalisée par l’administration sur les effets de la réforme de la transformation législative du DPE en 2021 ». Voilà pour la méthode. Quant aux conséquences, elles sont tout sauf anecdotiques.
DPE : une notation instable qui fragilise propriétaires et locataires
Depuis le 1er janvier 2025, les logements classés G ne peuvent plus être mis en location. Ceux classés F seront bannis du marché locatif dès 2028. Ce calendrier, issu de la loi Climat et résilience, s’applique de manière rigide, avec pour boussole… le DPE. Or, selon la Cour, cet outil n’est pas fiable à 100 %, et ses erreurs ont des répercussions massives sur la valeur des biens, l’accès au logement, et la trajectoire de rénovation. Un même appartement peut être noté différemment selon le diagnostiqueur. Pire, des fraudes et des manquements systémiques gangrènent le secteur.
En 2023, 70 % des établissements contrôlés ont présenté au moins une anomalie, révèle la Cour dans son rapport officiel. Clauses abusives, défauts d'information, absence de droit de rétractation, approximations méthodologiques... la liste est longue. Un chiffre qui a de quoi inquiéter, alors que le nombre de DPE a explosé, passant de 120 000 en 2018 à 350 000 en 2023.
Cartes professionnelles, IA et conflits d’intérêts : les remèdes proposés
Face à cette hémorragie de fiabilité, la Cour ne se contente pas de dénoncer : elle prescrit. Carte professionnelle obligatoire pour les diagnostiqueurs d’ici 2026, séparation stricte entre organismes de formation et centres de certification, sanctions renforcées, recours à l’intelligence artificielle pour identifier les diagnostics aberrants... la feuille de route est claire.
Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes, enfonce le clou : « Ces recommandations sont pour maintenant, il n’y a pas de temps à perdre ». Il fustige « l’endogamie du secteur », où la moitié des structures de certification sont liées aux opérateurs de DPE eux-mêmes. L’indépendance ? Un mot vide, semble-t-il, pour une partie du secteur.
Mais ce n’est pas tout : la Cour insiste également sur la nécessité d’intégrer les dimensions sociétales dans l’évaluation du dispositif. L’institution critique un manque d’anticipation sur les effets patrimoniaux, financiers et sociaux du classement DPE. Les logements mal notés se dévalorisent, sont plus difficiles à vendre ou à financer, et plongent de nombreux propriétaires dans des impasses économiques.
Rénovation énergétique : quand la précipitation devient un obstacle
Il y a une forme de paradoxe cruel dans ce diagnostic du diagnostic. Ce qui devait faciliter la rénovation énergétique contribue aujourd’hui à ralentir le mouvement. En témoigne la baisse de 33 % du stock de logements à louer classés F ou G entre 2021 et 2023. Résultat : une tension accrue sur le marché locatif, notamment dans les zones tendues.
Comme le souligne David Rodrigues, juriste à la CLCV : « Ces irrégularités sont loin d’être anecdotiques. Elles ont des conséquences concrètes sur la valeur et la commercialisation des logements ».
Et maintenant ? Une réforme de la réforme en vue
L’État n’est pas resté totalement sourd. Un plan de révision des modalités de certification des diagnostiqueurs, d’encadrement des pratiques et d’information des usagers est en cours. Mais la Cour prévient : cela ne suffira pas. Il faut repenser le système de régulation en profondeur, avec des mécanismes robustes d’évaluation, de contrôle et de sanction.
Le diagnostic de performance énergétique, censé être un pilier de la transition écologique, risque de devenir son talon d’Achille si rien ne change. Et dans ce domaine, une certitude s’impose : les faux diagnostics coûtent cher, à la fois aux ménages et à la planète.