La Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a formellement rejeté, le 11 juillet, l’usage de caméras dites « augmentées » dans les bureaux de tabac. Dotées d’une intelligence artificielle censée estimer l’âge des clients, ces caméras viennent de se heurter à un mur réglementaire.
La Cnil interdit les caméras IA dans les bureaux de tabac
La Cnil rejette une technologie jugée « ni nécessaire, ni proportionnée »
Ces caméras n’étaient pas installées pour protéger des clients ou identifier des suspects. Leur unique fonction, évaluer visuellement si l’acheteur d’un paquet de cigarettes ou d’un jeu à gratter semblait majeur. Une idée qui aurait pu séduire par sa simplicité, si elle n’avait été balayée par le régulateur. La Cnil, dans son avis publié le 11 juillet 2025, a tranché dans des propos partagés par 20 Minutes : « l’analyse préalable du visage des personnes par une caméra pour estimer leur âge n’apparaît pas nécessaire », et « ces dispositifs ne sont ni nécessaires, ni proportionnés ».
La décision est sans ambiguïté. Selon la Cnil, seule la vérification d’une pièce d’identité constitue une méthode valide pour contrôler l’âge. Estimer l’âge d’un individu par reconnaissance faciale automatisée n’a, en réalité, aucune valeur juridique. Cette pratique, qui consiste à confier à un algorithme une décision engageant la responsabilité du vendeur, est considérée comme redondante, voire inutile, dès lors qu’elle ne se substitue pas au contrôle documentaire.
Bureaux de tabac : banalisation de la surveillance, un risque trop sous-estimé
Au-delà de l’aspect purement juridique, la Cnil alerte sur une autre menace, celle de l’habituation à une forme de surveillance invisible, omniprésente et acceptée sans débat. Dans son communiqué officiel, elle avertit que « le déploiement de telles caméras dans des lieux de vie comme les bureaux de tabac contribue à un risque de banalisation et d’habituation à une surveillance renforcée ». Dans ces commerces de proximité, ces systèmes scannaient le visage de chaque client, majeur ou non, et rendaient un verdict automatisé par un voyant vert ou rouge. Même si aucune image n’était conservée, l’acte de soumettre tous les clients à un traitement biométrique en continu constitue une atteinte disproportionnée à la vie privée.
Et l’absence d’un mécanisme d’opposition individuel rend la mesure encore plus problématique. Ces dispositifs peuvent intégrer des biais. Plusieurs études alertent déjà sur l’instabilité des systèmes de reconnaissance faciale selon les origines ethniques, les genres ou les tranches d’âge. Ce n’est donc pas seulement une question de conformité au Règlement général sur la protection des données (RGPD), mais de justice algorithmique.
IA contre carte d’identité, une fausse alternative
D’un côté, la machine promettait de gagner du temps. De l’autre, la loi rappelle une évidence, l’âge légal se prouve par un document, pas par un algorithme. La Cnil l’a rappelé, noir sur blanc, l’analyse faciale ne saurait se substituer à la présentation d’une pièce d’identité. Pour les buralistes tentés par cette technologie, des alternatives existent. Parmi elles, le « mini-wallet », un portefeuille numérique européen en cours de déploiement, permettrait à un client de prouver sa majorité via une application sans révéler son identité complète. Une innovation conforme au RGPD, mais encore embryonnaire dans son application.
L’argument de la simplification ne résiste pas non plus à l’épreuve du terrain. Les tests menés dans 14 bureaux de tabac en Île-de-France, comme l’a confirmé la Fédération régionale des buralistes fin 2024, n’ont jamais fait la preuve d’un gain significatif d’efficacité. L’expérience montre que les vendeurs doivent souvent tout de même demander une pièce d’identité, même après l’avis positif de la caméra.
La réponse embarrassée des professionnels
Pris de court par la sévérité de l’avis, la Confédération nationale des buralistes a réagi par un simple « nous prenons acte », sans pour autant annoncer le retrait immédiat des dispositifs. Elle s’est contentée d’indiquer qu’elle s’exprimerait « dans les prochains jours ». À ce jour, près de 1 000 bureaux de tabac en France auraient déjà été équipés de cette technologie, selon plusieurs sources de terrain.
Mais aucune plainte individuelle n’a encore été adressée à la Cnil, ce qui pousse l’autorité à temporiser : « la Cnil souhaite laisser le temps aux buralistes concernés de se mettre en conformité », a-t-elle précisé à l’AFP. Du côté des associations de santé publique, le ton est tout autre. L’Alliance contre le tabac (ACT) a salué la décision de la Cnil en rappelant, dans des propos partagés par BFMTV que « le déploiement de dispositifs de vérification d’âge chez les buralistes ne constitue en aucun cas une réponse satisfaisante au non-respect de l’interdiction de vente des produits du tabac et de vapotage aux mineurs ».