Frappes sans pilote, exportations en hausse, collaboration public-privé : au cœur de la nouvelle économie militaire turque, les drones deviennent bien plus que des armes.
Baykar, MKE et l’économie de la guerre autonome : la Turquie parie sur l’industrie des drones

Le 28 juin 2025, la démonstration en mer d’un drone kamikaze PIRANA KUSV guidé depuis un Bayraktar TB3 par le TCG Anadolu a marqué une avancée tactique majeure pour la Turquie. Mais derrière l’exploit opérationnel se profile un autre terrain stratégique : celui de l’économie. L’axe Baykar–MKE, incarnation du dualisme industriel turc, cristallise une mutation profonde du tissu productif, tourné vers la guerre navale sans pilote comme levier de croissance et d’influence.
Industrie des drones : un pilier des exportations turques
Dans un contexte de réarmement global, la Turquie se distingue comme l’un des rares pays à maîtriser une chaîne complète de conception et de production de drones militaires, de l’aérien au maritime. L’entreprise privée Baykar, créatrice du Bayraktar TB3, et la société étatique MKE, responsable du PIRANA KUSV, incarnent ce maillage.
Baykar affiche un taux d’exportation dépassant les 85 % en 2024, avec des contrats dans plus de 30 pays. Ces ventes génèrent plusieurs milliards de dollars par an, dopant la balance commerciale et accélérant les transferts technologiques vers l’économie civile (imagerie, IA, cryptographie).
Le modèle tcg anadolu : navire-pivot d’une économie militaire en réseau
Le TCG Anadolu, porte-drones mis en service en avril 2023, devient un centre de convergence industrielle. Sa conception a nécessité la mobilisation d’un réseau de plus de 130 sous-traitants, publics et privés, qui gravitent autour de l’agence de l’industrie de défense turque (SSB).
Chaque nouvelle intégration — comme celle de la frappe conjointe TB3–PIRANA du 28 juin — dope la demande de composants électroniques, de logiciels embarqués, de gyroscopes ou encore de micro-moteurs, avec des retombées directes pour les PME turques.
Le secteur naval devient ici le catalyseur d’une filière technologique intégrée, renforçant l’autonomie industrielle du pays tout en réduisant sa dépendance aux fournisseurs occidentaux.
Collaboration baykar-mke : un modèle économique dual
Le binôme Baykar–MKE matérialise un modèle dual d’économie de défense :
- Baykar, entité privée, rapide, agile, technologique, focalisée sur l’innovation produit.
- MKE, entreprise publique héritée de l’appareil militaire, spécialisée dans la production en masse et l’armement conventionnel.
Leur coopération autour de systèmes comme le TB3 et le KUSV démontre une complémentarité qui maximise les synergies industrielles. En mobilisant des financements mixtes, des plateformes de test partagées et des standards compatibles, la Turquie bâtit un écosystème coopératif, plus souple que les consortiums européens figés ou les grands intégrateurs américains.
Cette stratégie permet aussi à Ankara de séduire des marchés non alignés, soucieux de flexibilité et d’indépendance.
Des retombées qui débordent du militaire
L’effet d’entraînement de la filière drone sur d’autres pans de l’économie est désormais visible. Les technologies développées pour les drones Bayraktar ou les plateformes marines sont adaptées à l’agriculture de précision, à la logistique autonome ou encore à la surveillance d’infrastructures critiques.
Selon des projections de l’Organisation de développement technologique de Turquie, le secteur des drones, tous usages confondus, pourrait représenter 1,5 % du PIB turc d’ici 2028, contre 0,4 % actuellement.
Une économie de guerre nouvelle génération
La démonstration du 28 juin n’est pas qu’une avancée tactique. C’est l’illustration d’une économie de guerre transformée, où l’autonomie, l’industrialisation rapide et l’export deviennent les moteurs d’un modèle hybride.
Avec ses drones, la Turquie ne vend plus seulement des armes : elle vend un système économique autonome, reproductible, modulaire, adaptable à chaque client stratégique. Dans la compétition mondiale de l’armement, cette capacité de projection industrielle est peut-être sa plus puissante arme.