Ultra-riches : le Sénat refuse de taxer à 2 % les plus gros patrimoines

Le 12 juin 2025, le Sénat a rejeté la très controversée taxe Zucman, une proposition d’impôt plancher sur les très grandes fortunes. Ce vote cristallise les fractures idéologiques autour de la fiscalité du patrimoine.

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 13 juin 2025 8h35
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senat-34000-euros-siege-larcher-plaide-erreur - © Economie Matin
20 MILLIARDS €La taxe Zucman pourrait rapporter 20 milliards d'euros par an à l'Etat français.

En ligne de mire : les 1 800 foyers fiscaux français les plus riches, dont certains, comme Bernard Arnault, symbolisent un capitalisme mondialisé souvent critiqué pour son optimisation fiscale.

Une taxe sur la fortune des ultra-riches qui touchait une poignée de privilégiés

Conçue par l’économiste Gabriel Zucman, professeur à l’université de Berkeley, la taxe Zucman vise à instaurer un impôt minimum de 2 % sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. L’objectif : combler les failles d’un système où certains des plus fortunés ne verseraient que 2 % de leur fortune annuelle en impôts réels, contre plus de 40 % pour des contribuables moyens. Ce dispositif, selon ses promoteurs, s'attaquerait aux techniques d’optimisation avancées, notamment l’usage de holdings, de fiducies ou de sociétés écrans à l’étranger.

La mesure, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale, aurait concerné environ 1 800 foyers fiscaux et permis de récupérer jusqu’à 20 milliards d’euros par an. Un chiffre frappant, censé répondre aux impératifs de justice fiscale et de financement des services publics.

Le Sénat protège les milliardaires et rejette la taxe

Mais au Palais du Luxembourg, le couperet est tombé : 188 voix contre, 129 pour. Le Sénat a balayé la mesure au nom de l’orthodoxie budgétaire et de la sécurité juridique. Les sénateurs LR, centristes et plusieurs élus Renaissance ont jugé la taxe "confiscatoire", "inconstitutionnelle" et susceptible d’inciter à l’exil fiscal. Emmanuel Macron, en Conseil des ministres, aurait insisté sur la nécessité de "rester attractifs pour les capitaux dans une économie ouverte", selon BFMTV.

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, a également mis en garde contre une mesure qui "frapperait les biens professionnels, c’est-à-dire les entreprises françaises, leurs créateurs et leurs propriétaires", déclarait-il sur Franceinfo le même jour. Or, ce dernier a également appelé à taxer les riches pour résoudre le problème de la dette de la France. Un paradoxe.

Cette levée de boucliers révèle un clivage profond sur la définition même de la fiscalité équitable, certains estimant qu’une telle imposition frapperait non seulement des fortunes héritées, mais aussi des outils de production créateurs de valeur.

La taxe Zucman acceptée… même chez les macronistes (mais pas par Macron)

La mesure a aussi divisé les rangs macronistes. Plusieurs sénateurs Renaissance ont soutenu l’initiative portée par les écologistes, tout comme les groupes socialistes et communistes. Ces derniers ont dénoncé "le refus obstiné de faire contribuer ceux qui concentrent les ressources du pays", selon Le Nouvel Obs.

Une tribune publiée dans Le Monde le même jour par les économistes Olivier Blanchard et Jean Pisani-Ferry apportait un soutien de poids à la proposition : "Un plancher fiscal permettrait de restaurer l’équité, sans asphyxier l’investissement privé." Pour les partisans du texte, le vote sénatorial symbolise "le verrouillage d’un système fiscal inégalitaire".

Une taxe pour moins de 2000 foyers ?

Si cette taxe avait été appliquée, un patrimoine comme celui de Bernard Arnault, estimé à plus de 100 milliards d’euros, aurait pu donner lieu à une contribution annuelle d’au moins 2 milliards d’euros. Pas de quoi le rendre pauvre, alors que entre 2012 et 2022 la fortune de l’homme le plus riche de France a explosé de plusieurs dizaines de millions d’euros… chaque jour !

Actuellement, selon les calculs avancés par Le Figaro, la charge fiscale effective pour de tels patrimoines descendrait parfois sous la barre des 2 %, grâce à des mécanismes légaux de déduction, de report ou de transfert international. Cet exemple a cristallisé les tensions. D’un côté, l’opinion publique voit dans une telle fortune une forme d’indécence fiscale. De l’autre, le gouvernement évoque "la protection de champions industriels", insistant sur leur rôle stratégique dans l’économie nationale. Mais cette taxe n'aurait finalement pas touché grand monde : à peine 1800 foyers en France, une goutte d'eau par rapport aux près de 30 millions de foyers que compte le pays.

La taxe Zucman n’est pas enterrée : rendez-vous fin 2025 !

Les porteurs du texte ne comptent pas abandonner. Ils annoncent d’ores et déjà vouloir réintroduire la mesure dans le cadre du projet de loi de finances 2026. Le sénateur écologiste Thomas Dossus déclarait ainsi : "Ce n’est que le début de la bataille pour l’égalité devant l’impôt."

La taxe Zucman s’inscrit dans une tendance mondiale : aux États-Unis comme en Allemagne, les débats autour de la taxation des ultra-riches s’intensifient. La France, pionnière en matière d’impôt sur la fortune dans les années 1980, impôt supprimé par Emmanuel Macron, pourrait-elle redevenir un laboratoire fiscal ?

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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