Et si les Français finançaient leur modèle social non plus par le labeur, mais par leurs tickets de caisse ? C’est l’hypothèse que le chef de l’État a laissé planer mardi soir, ravivant une idée aussi ancienne que sulfureuse : la TVA sociale. Derrière les promesses d’un salaire net plus élevé, une cascade de conséquences économiques, sociales et politiques se profile.
La TVA sociale revient : coup de pouce ou coup de massue sur les ménages ?

TVA sociale : le retour en grâce d’un impôt honni
Le 13 mai 2025, lors de l’émission Les Défis de la France diffusée sur TF1, Emmanuel Macron a glissé une phrase qui n’est pas passée inaperçue : « Le financement du modèle social repose beaucoup trop sur le travail. » Il n’en fallait pas plus pour que le spectre de la TVA sociale ressurgisse dans le débat public.
Sans jamais la nommer explicitement, le Président a relancé cette idée, vieille de trente ans, consistant à réduire les cotisations sociales salariales — qui pèsent aujourd’hui sur les bulletins de paie — en les remplaçant partiellement par une hausse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), payée à chaque acte de consommation.
Le but affiché ? Redonner du pouvoir d’achat en augmentant mécaniquement les salaires nets, sans coût supplémentaire pour les entreprises. Une belle promesse, à première vue. Mais comme souvent, le diable se cache dans les détails.
Une taxe qui pèse lourd… surtout sur les plus modestes
« Il y a la consommation, il y a d'autres choses… je demande au gouvernement d’ouvrir ce chantier », a poursuivi Emmanuel Macron, dans une formule volontairement floue. Pourtant, l’intention est claire : déplacer le financement de la protection sociale vers la consommation. Et sur ce point, le patronat applaudit des deux mains.
Le Medef milite depuis longtemps pour cette réforme, qu’il voit comme une manière d’« alléger le coût du travail ». La CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) parle même de « levier de compétitivité ». Mais pour les syndicats, le tableau est bien plus sombre.
La CGT (Confédération générale du travail) dénonce « l’impôt le plus injuste qui soit », en rappelant que la TVA est une taxe proportionnelle, donc régressive : plus on est pauvre, plus on en paie, en proportion de ses revenus. Et Force Ouvrière redoute « une étatisation de la Sécurité sociale par le haut », les cotisations étant historiquement gérées paritairement.
Dans les faits, le système existe déjà partiellement. En 2023, 57 milliards d’euros de TVA ont été affectés au financement de la Sécurité sociale, selon François Ecalle. Le taux de TVA est actuellement de 20 %, et chaque point supplémentaire rapporterait environ 7 milliards d’euros à l’État. Mais cela reste une « goutte d’eau », estime l’économiste Philippe Crevel, face à un modèle social qui coûte 530 milliards d’euros par an (Capital, 14 mai 2025).
Une hausse des salaires ? Pas pour tout le monde
L’argument phare de cette réforme, c’est bien sûr la hausse des salaires nets. En allégeant les cotisations sociales salariales, le revenu mensuel disponible augmenterait mécaniquement… pour les actifs. Car les retraités, eux, ne toucheraient pas un centime de plus, tout en subissant de plein fouet la hausse des prix induite par la TVA sociale.
Philippe Crevel met en garde : « L'augmentation des salaires des Français serait atténuée par la hausse des prix, ce qui limiterait fortement le gain de pouvoir d'achat » (Capital, 14 mai 2025). En somme, un jeu à somme nulle ? Pire : un transfert du financement des entreprises vers les ménages, et des actifs vers les inactifs.
D’autant que cette mesure pourrait provoquer une flambée de fraude, notamment dans les secteurs de services, où la dissimulation des transactions devient plus tentante lorsque la TVA grimpe. Une dérive déjà observée dans d’autres pays européens.
Entre efficacité économique et suicide politique
Du point de vue strictement économique, certains experts saluent la cohérence de la proposition. L’économiste Guillaume Bazot estime dans L’Express (15 mai 2025) que « la TVA sociale est moins distorsive que les cotisations sociales pour l’emploi ». Il souligne aussi son effet potentiellement vertueux sur la croissance.
Mais il nuance aussitôt : « Cette réforme est économiquement rationnelle, mais politiquement explosive ». Et pour cause : elle risque de mettre dans la rue les syndicats, de fracturer davantage la majorité, et d’offrir aux oppositions un nouveau cheval de bataille.
Le Parti socialiste et le Rassemblement national, habituellement aux antipodes, convergent pour condamner une réforme qu’ils jugent antisociale. Le premier y voit une attaque contre les plus modestes, le second un renoncement à la souveraineté fiscale.