Et si le plus ancien fantasme de la science humaine n’avait pas été si fou ? Dans le sous-sol high-tech du CERN, une expérience insolite a récemment confirmé ce que les manuscrits médiévaux osaient à peine imaginer : la transmutation du plomb en or. Un exploit microscopique, éphémère, mais scientifiquement réel.
Ils ont transformé le plomb en or : l’exploit scientifique du CERN

Le 8 mai 2025, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) a officiellement annoncé avoir observé, entre 2015 et 2018, la transformation directe de noyaux de plomb en noyaux d’or dans le Grand collisionneur de hadrons (LHC), à Genève. Une annonce qui donne une résonance moderne à un mot tombé en désuétude : alchimie.
Transformer le plomb en or : une alchimie moderne au cœur du LHC
Dans l’imaginaire collectif, l’alchimie évoque des grimoires poussiéreux, des athanors fumants et des figures mi-mystiques, mi-marginales comme Nicolas Flamel. Ce dernier, célèbre pour ses traités du XIVe siècle, incarne cette obsession séculaire : transformer les métaux vils en or pur. Une quête surnommée la chrysopée, restée lettre morte… jusqu’à ce que la physique nucléaire reprenne le flambeau.
Au sein du LHC, les équipes de l’expérience ALICE (A Large Ion Collider Experiment) ont fait bien mieux qu’un tour de magie : elles ont observé une transmutation réelle, mesurée et reproductible. Lors de quasi-collisions entre noyaux de plomb, des champs électromagnétiques extrêmes sont générés. Ces derniers provoquent une dissociation électromagnétique, où des photons perturbent la structure interne du noyau, entraînant l’éjection de trois protons. Résultat ? Le noyau initial de plomb (82 protons) devient un noyau d’or (79 protons).
Une pluie d’or ? Oui, mais invisible
Le chiffre a de quoi faire tourner les têtes : 86 milliards de noyaux d’or ont été produits durant la phase 2 du LHC, entre 2015 et 2018. À la phase 3, grâce à l’augmentation de la luminosité (soit la fréquence des collisions), ce total a presque doublé.
Mais la réalité, elle, est plus cruelle que les légendes. Ces noyaux ne durent qu’un millième de milliardième de seconde. Ils percutent les parois du détecteur ou se fragmentent aussitôt. Sur toute la période, la masse totale obtenue est dérisoire : 29 picogrammes, soit 0,000 000 000 029 gramme. Comme le note le CERN, « le total reste cependant des milliers de milliards de fois inférieur à la quantité qu’il faudrait pour fabriquer un bijou »
Autant tuer le suspense : non, l’humanité ne va pas inonder le marché de lingots d’or synthétique. Et non, les banques centrales ne vont pas commander des collisionneurs à 27 kilomètres pour équilibrer leurs bilans. Car produire de l’or par transmutation exige des conditions hors normes : des faisceaux de noyaux propulsés à 99,999993 % de la vitesse de la lumière, des milliers de capteurs et une précision chirurgicale.
L’or du CERN ne brille que pour les physiciens. Son intérêt ? Il permet de tester des modèles de dissociation électromagnétique, essentiels pour comprendre les pertes de faisceau dans les accélérateurs. Ces pertes sont un obstacle majeur à la montée en puissance du LHC et à la conception de futurs supercollisionneurs.
La transmutation du plomb en or : de la légende à la physique
La portée symbolique de cette expérience est immense. Depuis que l’alchimie a été reléguée au rang de proto-science, la transformation du plomb en or était devenue une chimère romantique, un fantasme littéraire.
Mais aujourd’hui, le CERN confirme que la transmutation nucléaire n’est plus une croyance mystique : c’est une réalité mesurable, même si elle reste techniquement hors de portée pour des applications industrielles. Et ce sont les chercheurs d’ALICE qui l’affirment sans détour : « Grâce aux capacités exceptionnelles des calorimètres à zéro degré d’ALICE, cette analyse est la première à avoir détecté et analysé systématiquement [...] la production d’or au LHC »
Une victoire scientifique à défaut d’un trésor
Alors, que reste-t-il de la pierre philosophale ? Elle n’est ni rouge, ni éternelle, mais se cache dans les circuits d’un accélérateur géant, sous la frontière franco-suisse. En remplaçant la magie par des photons, et le plomb des chaudrons par celui des faisceaux, la science contemporaine vient clore un chapitre vieux de mille ans.
Loin des promesses de richesses, cette découverte ouvre surtout des perspectives théoriques nouvelles. Elle contribue à affiner notre compréhension de la matière à haute densité d’énergie, à tester les limites de la physique subatomique, et à bâtir les fondations des technologies de demain.