D’un salon professionnel à la chirurgie de pointe: le projet de recherche qui a révolutionné l’impression 3D dans la médecine

Un projet financé par l’UE dans les années 90 a changé le secteur médical à tout jamais en y introduisant l’impression 3D. Ce bouleversement a permis d’améliorer considérablement les résultats des interventions chirurgicales complexes, et donc la vie de milliers de patients.

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By Horizon Published on 6 avril 2025 9h30
Hopital Operation Chirurgie
@shutter - © Economie Matin
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En 1990, lors d’un salon organisé en Allemagne, Fried Vancraen a été fasciné par une imprimante 3D exposée. À tel point qu’il en a acheté une pour Materialise, sa nouvelle entreprise. Deux ans plus tard, grâce à un financement de l’UE, il a lancé sa petite start-up belge dans une aventure qui allait changer à jamais le monde de la médecine et, par la même occasion, celui de l’impression 3D.

M. Vancraen et Materialise ont été les premiers à utiliser l’impression 3D à des fins médicales, avec l’aide de partenaires allemands et britanniques. Pour la première fois, ils ont commencé à produire des modèles précis et tangibles d’os et d’organes humains à partir d’images médicales. Ces modèles ont été d’une aide précieuse pour les chirurgiens qui devaient planifier des interventions complexes.

«Déjà à ce moment-là, nous étions convaincus que les imprimantes 3D allaient révolutionner le monde médical», a-t-il déclaré.

De simple entreprise née de la recherche universitaire Materialise est devenue une multinationale, et, en 2024, M. Vancraen a quitté son poste de direction afin d’assumer le rôle de président de l’entreprise. Mais il se souvient encore très bien de l'enthousiasme qu'il a ressenti en ouvrant un nouveau chapitre pour tester leurs idées il y a de cela plus de 30 ans.

Une subvention de l'UE les a aidés à s’engager sur cette voie dans le cadre d’un projet de recherche intitulé PHIDIAS. Ce projet a duré trois ans et s’est achevé fin 1995. Il avait pour but de produire des modèles médicaux précis basés sur des images médicales améliorées, pour la plupart obtenues en réalisant un scanner.

«Bien sûr que je m'en souviens», s'est exclamé M. Vancraen à propos du projet. «J'étais le chef de projet, j'ai rédigé la proposition [de financement] et j'ai réuni les partenaires.»

Parmi ces entreprises figuraient l’entreprise britannique Imperial Chemical Industries, dont la branche pharmaceutique est devenue Zeneca, une société distincte, en 1993. Y figuraient également Siemens, le géant industriel allemand qui fabriquait des appareils d'imagerie médicale, et la KU Leuven, une université belge.

Spin-off issue de la KU Leuven, Materialise compte aujourd'hui quelque 2 000 employés et est cotée au Nasdaq à New York.

Parallèlement, l'impression 3D s’est imposée comme un élément incontournable des soins chirurgicaux. Des imprimantes 3D sont régulièrement utilisées pour fabriquer des implants, des prothèses et des modèles de parties du corps des patients qui sont utilisés par les chirurgiens pour s'entraîner. 

Lorsque Materialise a été créée, la technologie en était toutefois à ses balbutiements. On doutait de son utilité et du fait qu’elle pourrait être utilisée par les médecins pour traiter de véritables patients. 

Les travaux ont vraiment commencé le 1er janvier 1993, moins de trois ans après la création de l'entreprise.

«C’étaient nos débuts en tant que start-up», précise M. Vancraen. «À l’époque, l’équipe ne comptait qu’une vingtaine de personnes.»

Du salami au scanner spiralé

La priorité de l'équipe de M. Vancraen était d'améliorer l'imagerie médicale.

«À l'époque, réaliser un scanner, c'était comme découper un salami», se souvient-il. «Pour faire le scanner, la machine prenait une image d'une couche du corps du patient, puis avançait de quelques centimètres pour effectuer un autre scanner, un peu comme quand on coupe du saucisson.»

«Le plus infime mouvement du patient générait des défauts sur l'image», explique M. Vancraen, faisant référence aux artefacts, ces motifs ou déformations involontaires de l'image.

L'impression 3D exige de disposer d’images précises du corps du patient. Si, par exemple, vous souhaitez imprimer en 3D un implant parfaitement ajusté, vous devez pouvoir vous appuyer sur une image exacte du corps du patient. Les artefacts qui figurent sur le scanner occasionneront plus tard des problèmes médicaux et une gêne chez les patients.

C'est la raison pour laquelle l'équipe du projet Materialise a remplacé la «méthode du salami» par un scanner spiralé. «Nous sommes parvenus à scanner le patient d'un seul mouvement», explique M. Vancraen. «Le scanner se déplaçait en spirale autour de lui. »

Un autre obstacle a été éliminé lorsque Zeneca, qui a par la suite fusionné avec le laboratoire pharmaceutique suédois Astra pour former AstraZeneca, a développé un polymère compatible avec l’homme et pouvant être imprimé en 3D. Ce matériau a remplacé les anciens polymères, souvent toxiques pour l'homme et inutilisables pour réaliser des implants. 

Marcher avant de courir

Cherchant à développer sa technique innovante, Materialise a proposé au centre hospitalier de Louvain, berceau de l’entreprise, de la tester. L’équipe a ainsi pu vérifier si l’impression 3D pouvait réellement présenter un intérêt pour les chirurgiens, en collaborant étroitement avec 30 d’entre eux, en Belgique, en France, en Allemagne et aux États-Unis.

«Nous avons réalisé la première véritable étude clinique sur l'impression 3D dans le secteur de la santé», a déclaré M. Vancraen. L’équipe a, en particulier, aidé des chirurgiens à se préparer à des interventions chirurgicales complexes. 

Pour cela, elle a eu recours à la stéréolithographie laser, une technique qui permet d'imprimer des modèles complexes et précis, couche par couche. Avec l'aide d'un logiciel de conception assistée par ordinateur, cette technologie concentre un laser ultraviolet sur une résine composée de grosses molécules sensibles aux UV.

Grâce à ses nouveaux scanners, capables de produire des images médicales de meilleure qualité, l’équipe a réalisé des modèles imprimés en 3D des organes et des parties du corps que les chirurgiens allaient opérer. Ceux-ci ont ainsi pu se préparer à ce qu'ils allaient trouver à l'intérieur du corps du patient et adapter leur approche en conséquence.

«Dans plusieurs cas, nous avons réussi à réduire le nombre d'interventions chirurgicales subies par le patient», a déclaré M. Vancraen. 

«Un patient avait trois interventions prévues. Grâce à notre technologie, le chirurgien a pu mieux les planifier et réaliser la procédure en une seule intervention. L'impact sur le corps de ce patient a donc été considérablement réduit.»

En combinant images de scanner et impression améliorées, le projet PHIDIAS a posé les bases de futures avancées dans le domaine de l'impression 3D médicale. 

«Nous avons dû apprendre à marcher avant de pouvoir apprendre à courir», a ajouté M. Vancraen. «Avec PHIDIAS, nous avons appris à marcher.»

Tremplin

Roel Wirix-Speetjens, responsable de la recherche médicale, est l'un des chercheurs qui apprend actuellement à courir au sein de Materialise. Il met au point de nouvelles solutions basées sur les travaux des chercheurs du projet PHIDIAS.

«PHIDIAS a donné naissance à notre division médicale», a-t-il déclaré. «Depuis, nous avons, par exemple, livré plus de 400 000 instruments de genou personnalisés. J'en suis très fier», a-t-il ajouté, faisant référence aux pièces qui aident les chirurgiens à opérer avec une plus grande précision.

Dans le cadre d'un projet, Materialise a réussi à créer un modèle 3D détaillé des poumons d'un patient. Ce modèle comprenait l'arbre bronchique et les lobes pulmonaires, ou des sections de chaque poumon. Ce modèle aide les chirurgiens qui doivent retirer un cancer du poumon en leur permettant de localiser précisément la tumeur.

«De cette façon, ils retirent moins de tissu pulmonaire sain», a expliqué M. Wirix-Speetjens. «La convalescence du patient est ainsi beaucoup moins pénible.»

Materialise développe aussi de nouvelles technologies d'impression 3D. Son équipe a entre autres élaboré des moyens d’améliorer la chirurgie faciale. 

Auparavant, si une blessure défigurait un patient, les chirurgiens n’avaient d’autre solution que d’utiliser des implants standards pour remplacer l'os et les tissus endommagés. Ils devaient plier manuellement les implants pendant l'opération afin de les insérer dans la structure faciale restante.

«Aujourd'hui, nous imprimons en 3D des implants personnalisés pour le patient», indique M. Wirix-Speetjens. «Nous scannons le visage et nos imprimantes 3D fabriquent des implants complexes grâce auxquels les chirurgiens peuvent reconstruire la structure faciale.»

Le traitement peut désormais être personnalisé en fonction des besoins de chaque individu. Le projet PHIDIAS a permis de faire un important pas en avant dans ce domaine, et les perspectives sont prometteuses. 

«C’est ce que nous faisons depuis 34 ans», a conclu M. Vancraen. «Je ne sais pas jusqu’où cela va nous mener.»

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme-cadre de l’UE. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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