L’univers de la santé publique regorge de priorités criantes, mais certaines urgences restent tues. Parmi elles, un déséquilibre méconnu persiste en silence, touchant la première cause de mortalité chez les femmes : les maladies cardio-vasculaires.
Santé cardiaque des femmes : l’égalité médicale en question
Le 28 mai 2025, lors de la Journée internationale d’action pour la santé des femmes, la Fondation Cœur et Recherche a publié un communiqué qui alerte sur un phénomène préoccupant : les maladies cardio-vasculaires, responsables de millions de décès féminins chaque année, sont encore très insuffisamment prises en compte dans les politiques de santé, les pratiques médicales et la recherche clinique. Ce constat, à la fois ancien et toujours d’actualité, met en lumière une inégalité de traitement entre les sexes dont les conséquences sont dramatiques.
Le poids des maladies cardio-vasculaires dans la mortalité féminine
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. D’après les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 8,5 millions de femmes décèdent chaque année de maladies cardio-vasculaires. Cela représente 35 % de la mortalité féminine mondiale. En France, ces pathologies tuent six fois plus que le cancer du sein. Et pourtant, la perception reste biaisée : le grand public continue d’associer les problèmes cardiaques à une réalité masculine.
Cette représentation erronée influence aussi les soins. Les femmes sont souvent diagnostiquées plus tard, et leur prise en charge est moins adaptée, ce qui conduit à des pronostics plus graves dans des situations cliniques identiques à celles des hommes. Cette réalité illustre les failles d’un modèle médical historiquement fondé sur des données masculines.
Une approche encore inégalitaire de la cardiologie
Le professeur Martine Gilard, cardiologue et membre du conseil d’administration de la Fondation Cœur et Recherche, s’exprime clairement sur le sujet : « Nous constatons une méconnaissance des facteurs de risque spécifiques aux femmes, une augmentation des maladies cardio-vasculaires chez les jeunes femmes, un pronostic souvent plus grave que chez les hommes dans des conditions similaires, et une prise en charge encore largement insuffisante ».
Ces propos sont étayés par des données inquiétantes. En une décennie, le nombre de jeunes femmes non ménopausées victimes d’une crise cardiaque a augmenté de 25 %. Ces patientes représentent désormais un quart des cas recensés. Les symptômes, souvent différents de ceux observés chez les hommes, passent parfois inaperçus. Fatigue intense, essoufflement, douleurs atypiques : des signaux trop souvent banalisés, conduisant à un retard de diagnostic.
Les facteurs spécifiques au risque féminin
Le cœur des femmes subit, au cours de leur vie, des pressions physiologiques et sociales bien distinctes. Des maladies comme l’endométriose, des épisodes liés à la grossesse (prééclampsie, hypertension gestationnelle), la ménopause, mais aussi le stress chronique ou les violences, qu’elles soient physiques ou psychiques, sont autant de facteurs aggravants. Ces éléments peuvent favoriser l’apparition de troubles du rythme cardiaque, d’hypertension ou d’ischémie menant à l’infarctus du myocarde.
Or, ces caractéristiques demeurent trop peu prises en compte dans les stratégies de prévention et les protocoles de soin. De nombreuses femmes ne se considèrent pas à risque et ne sont pas informées des signaux d’alerte. Cette méconnaissance se double d’une sous-représentation dans les études cliniques, limitant la validité des traitements appliqués à des profils féminins.
Vers une réforme systémique de la prévention cardio-vasculaire
Face à cette situation, la Fondation Cœur et Recherche appelle à une transformation en profondeur de l’approche médicale. Pour améliorer la prise en charge des femmes, il apparaît essentiel de renforcer la formation des professionnels de santé sur les particularités féminines, tant sur le plan clinique que physiologique. Il faut aussi rééquilibrer la participation des femmes dans les essais cliniques, encore largement dominés par des cohortes masculines, et concevoir des stratégies de prévention tenant compte des moments charnières de la vie féminine que sont la contraception, la grossesse et la ménopause.
Par ailleurs, la Fondation insiste sur l’importance d’une meilleure sensibilisation du grand public féminin. Trop de femmes ignorent encore leur propre exposition au risque cardio-vasculaire, ce qui contribue à un diagnostic tardif et à une mortalité évitable.
Elisabeth Riboud, déléguée générale de la Fondation, résume cette mission avec précision : « La Fondation Cœur et Recherche s’engage pleinement pour sensibiliser la population et les professionnels de santé à l'importance de la prise en charge spécifique de la santé cardiaque des femmes. Grâce au soutien de projets de recherche, nous espérons ouvrir la voie à une meilleure compréhension des risques cardio-vasculaires des femmes et à des traitements plus adaptés à leurs besoins ».
Une mobilisation française à vocation mondiale
Dans un contexte où certains pays, comme les États-Unis, ont fait marche arrière sur les politiques de santé genrées, la France pourrait jouer un rôle moteur. Le Pr Martine Gilard le souligne clairement : « Ce que nous ferons ici bénéficiera aux femmes du monde entier. » Ce message s’adresse aux institutions, mais aussi à l’opinion publique, appelée à s’emparer d’un enjeu trop longtemps ignoré.