Retraites : vers une dose de capitalisation dans un système au bord de l’asphyxie ?

À rebours des totems idéologiques, la machine à réformer d’Édouard Philippe vient de s’emballer sur un terrain ultrasensible : les retraites. Mais que cache réellement cette proposition aux allures de compromis technique ? Et surtout, à quoi s’expose-t-on ?

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By Amandine Leclerc Published on 4 juin 2025 16h39
Retraites Et Capitalisation
Retraites : vers une dose de capitalisation dans un système au bord de l’asphyxie ? - © Economie Matin

Un 4 juin, Philippe secoue le débat sur les retraites

Le 4 juin 2025, au micro de France Inter, l’ancien Premier ministre a mis les pieds dans le plat : « La France est en train d'entrer dans un piège démographique », a-t-il martelé, évoquant sans détour le double mur du vieillissement et de la dénatalité. Pour y faire face, Édouard Philippe propose une cure radicale du système actuel, jugé trop rigide, trop dépendant, trop obsolète.

Au cœur de son programme pour 2027 : l’introduction d’une part de capitalisation à hauteur de 15 % dans le système de retraites, censée compléter l’actuelle répartition. « La deuxième chose, c'est mettre en place un système de capitalisation qui n'a pas vocation à remplacer complètement la répartition, mais qui doit venir compléter le système de répartition », rapporte Le Figaro .

Une idée ancienne, un timing précis, un candidat en orbite présidentielle : le cocktail est explosif. Le débat sur les retraites est désormais relancé avec vigueur, sur fond de déficit budgétaire et de défi démographique.

Capitalisation : l’épargne individuelle comme pilier du futur système de retraites

L'ancien chef du gouvernement ne s'en cache pas : il veut s’inspirer du modèle allemand où « environ 15 % » des pensions reposent sur des mécanismes de capitalisation. Sa vision ? Obliger chaque salarié à épargner une fraction de ses revenus dans des dispositifs financiers individuels, indexés sur les marchés. Un changement majeur dans un pays qui reste viscéralement attaché à la solidarité intergénérationnelle.

Dans l’interview donnée à France Inter, Philippe assume son choix : « On peut arriver, à mon avis, à 15 % ». Et d’ajouter : « Ça redonnera un peu de liberté individuelle à ceux qui veulent partir à la retraite et ça, c'est précieux, et ça permettra de garantir le financement des retraites ».

BFM TV précise que le dispositif envisagé passerait par des produits d’épargne obligatoires adossés aux marchés financiers. Le concept vise une responsabilisation individuelle progressive, calquée sur le modèle du Plan d’épargne retraite (PER).

Répartition, démographie, budget : l’État face à une équation explosive

Pourquoi cette accélération du débat maintenant ? Édouard Philippe brandit un constat aussi brutal que mathématique : « Ceux qui racontent que l'on peut baisser l'âge de départ à la retraite (...) sont dans le déni du réel », fustige-t-il au micro de France Inter.

La dégradation du ratio cotisants/retraités pèse lourdement sur les finances publiques. Selon les tendances actuelles, d’ici 2040, la population active pourrait diminuer de près de 10 %, fragilisant l’équilibre du système de répartition. Philippe propose aussi de relever l’âge de départ à la retraite, comme l’ont fait l’Allemagne ou l’Espagne. « Pour sauver la partie de leur système de pension qui repose sur la répartition, ils ont accepté de travailler plus longtemps ».

Mais une telle réforme ne sera pas gratuite : double financement, effort d’épargne supplémentaire, fiscalité d’accompagnement. Une réforme socialement inflammable.

Immigration économique : une réponse complémentaire ?

L’autre levier esquissé par Philippe pour soutenir le système de retraites est clair : attirer des compétences de l’étranger. Il affirme : « Nous aurons besoin d'étudiants étrangers dans les universités françaises, nous aurons, comme c'est le cas aujourd'hui, besoin de médecins étrangers ».

Cette vision démographique est assumée comme stratégique : maintenir une base cotisante suffisante, former, intégrer, et retenir les compétences étrangères dans les secteurs en tension.

Le verrou culturel français peut-il sauter ?

La proposition de Philippe heurte frontalement une certaine vision de la solidarité nationale. En introduisant la logique de capitalisation, il pousse à une forme de contractualisation du lien social : chacun épargne pour soi, sous supervision collective. Mais qui en aura les moyens ? Et à quel prix pour la cohésion du système ?

Derrière cette réforme technique, c’est un nouveau modèle social qui s’esquisse. Plus individualisé. Plus incertain. Et peut-être, plus instable.

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