Quand le cacao vaut plus que l’or en Equateur

Le cacao n’est plus seulement une matière première précieuse sur les marchés mondiaux. En Équateur, il est désormais la première source de revenus à l’exportation, devant l’or et l’argent.

Jade Blachier
By Jade Blachier Published on 30 juin 2025 11h09
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quand-le-cacao-vaut-plus-que-lor-en-equateur - © Economie Matin
13 000 dollarsEntre janvier 2023 et octobre 2024, le prix de la tonne de cacao est passé de 2 300 dollars à près de 13 000 dollars.

Depuis le 28 juin 2025, une annonce du ministère équatorien de l’Économie a confirmé une évolution spectaculaire : le cacao a généré, sur la dernière campagne, 3,6 milliards de dollars, contre 3 milliards pour les métaux précieux extraits du sous-sol équatorien. Cette bascule historique s’explique par la hausse continue du prix du cacao à l’international depuis début 2024. L’Équateur, troisième exportateur mondial de fèves, se retrouve propulsé au cœur d’une dynamique économique inédite, soutenue par les marchés et dopée par des conditions climatiques favorables, mais aussi par un contexte mondial tendu pour les autres pays producteurs.

Une flambée des cours sans précédent

Entre janvier 2023 et octobre 2024, le prix de la tonne de cacao est passé de 2 300 dollars à près de 13 000 dollars. Cette augmentation s’explique par la réduction des volumes en provenance d’Afrique de l’Ouest, notamment de Côte d’Ivoire et du Ghana, confrontés à des épisodes de sécheresse et à des maladies affectant les cacaoyers. Dans ce contexte, les marchés se sont tournés vers d’autres producteurs, dont l’Équateur. Le pays a bénéficié de sa position déjà établie dans la filière, de l’introduction du clone CCN-51, une variété résistante et productive, et d’années d’investissements dans l’amélioration de la culture. Le cacao a ainsi devancé la banane, auparavant produit agricole le plus exporté du pays. En six mois seulement, les exportations de cacao ont atteint 2,9 milliards de dollars, contre 2,5 milliards pour la banane.

Une transformation concrète pour les producteurs

Près de 400 000 foyers équatoriens vivent directement de la culture du cacao. Pour ces familles, l’évolution des cours a entraîné une hausse immédiate du pouvoir d’achat. Certains agriculteurs interrogés par l’AFP ont évoqué la possibilité de contracter un crédit pour acquérir de nouvelles terres, d’autres investissent dans l’irrigation ou dans la mécanisation de leur exploitation. Les organisations agricoles notent également un accès facilité au crédit rural, ce qui contribue à renforcer les infrastructures locales. Cette dynamique s’accompagne d’une montée en compétences dans les régions rurales, parfois jusque-là en marge des circuits économiques dominants.

Pour Ivan Ontaneda, président de l’association des exportateurs de cacao ANECACAO, ce succès n’est pas une surprise : il est le résultat d’une stratégie long terme, combinant efforts privés, soutien étatique modéré et sélection génétique des plants. Le développement du clone CCN-51, qui représente plus de 90 % de la production nationale, a notamment permis de répondre aux exigences des acheteurs internationaux tout en garantissant une meilleure résilience climatique.

Des tensions locales et internationales

Cet essor fulgurant n’est cependant pas exempt de tensions. Plusieurs rapports d’ONG ont alerté sur une recrudescence des extorsions, notamment dans les provinces de Manabí et d’Esmeraldas, où les producteurs les plus prospères deviennent des cibles. Selon des données relayées par BFM TV, les cas de racket ont quadruplé entre 2022 et 2024. L’expansion rapide des surfaces cultivées suscite également des inquiétudes environnementales. Plusieurs observateurs pointent une hausse de la déforestation, notamment dans les zones où les plantations empiètent sur les forêts primaires. Malgré ces alertes, l’Équateur n’a pas été inclus dans la dernière liste de pays à risque publiée par la Commission européenne fin mai 2025, ce qui lui permet de continuer à exporter vers l’UE sans contraintes supplémentaires.

Au niveau des consommateurs, les conséquences se font déjà sentir. En France, l’association UFC-Que Choisir a relevé une hausse moyenne de 14 % du prix des produits chocolatés entre avril 2024 et avril 2025. Cette augmentation s’explique en partie par la répercussion des prix des matières premières sur les produits transformés. Sur les marchés internationaux, le cacao a atteint le 27 juin 2025 un prix de 9 449 dollars la tonne, ce qui représente une progression de 25 % sur un an. Toutefois, selon les estimations publiées par la Banque mondiale début juin, un repli de 13 % pourrait intervenir dans le courant du second semestre, sous l’effet d’une reprise partielle des récoltes africaines.

L’or en perte de vitesse, le cacao comme nouveau pilier

L’Équateur produit chaque année environ 7 à 8 tonnes d’or, principalement destinées à l’exportation. Si le métal précieux a vu son cours progresser d’environ 7 % au premier trimestre 2025, sa contribution aux recettes publiques reste modeste en comparaison du cacao. En volume, l’industrie aurifère emploie moins de main-d’œuvre, et elle est plus sensible aux fluctuations des investissements étrangers. À l’inverse, le cacao s’appuie sur un tissu dense de petits producteurs et de coopératives. La nature décentralisée de cette filière la rend plus résiliente, mais aussi plus exposée aux pressions sociales et environnementales.

En 2023, la production équatorienne de cacao s’élevait à 235 000 tonnes. Ce chiffre pourrait être dépassé en 2025 si les conditions climatiques restent favorables. Cette dynamique place désormais le cacao au premier rang des produits non pétroliers exportés par le pays. Pour les autorités économiques, cette mutation représente une opportunité de diversification stratégique.

Une nouvelle donne mondiale

L’essor du cacao équatorien s’inscrit dans un mouvement plus large de transformation des chaînes de valeur agricoles. À mesure que les effets du changement climatique se font sentir dans les zones traditionnelles de culture en Afrique, les producteurs d’Amérique latine deviennent des acteurs incontournables de la sécurité alimentaire mondiale. L’innovation génétique, la traçabilité des filières et les normes environnementales sont devenues des critères prioritaires pour les acheteurs institutionnels et les grands groupes agroalimentaires.

Le cacao n’est donc plus simplement une matière première, mais un produit stratégique, sur lequel se jouent des enjeux multiples : durabilité des cultures, lutte contre le travail des enfants, réduction de l’empreinte carbone. L’Équateur, fort de ses nouvelles performances économiques, devra désormais arbitrer entre croissance, régulation et préservation de ses ressources naturelles.

Jade Blachier

Diplômée en Information Communication, journaliste alternante chez Economie Matin.

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