Trois heures de retard suffisaient autrefois pour espérer une compensation. Demain, il faudra patienter cinq, voire neuf heures… Et encore. L’essentiel des passagers aériens sera exclu.
Alerte : les passagers aériens bientôt privés d’indemnisation en cas de retard

Sous l’impulsion des compagnies aériennes, une réforme réglementaire pourrait redéfinir, en profondeur, ce que signifie être un passager protégé. À première vue technique, la mesure pourrait pourtant bouleverser les droits concrets de millions de voyageurs.
Un « cadeau » aux compagnies aux dépens des passagers aériens
Le cœur de la contestation porte sur une réforme du règlement européen 261/2004, qui encadre depuis 2004 les indemnisations en cas de vol retardé ou annulé. Portée par la pression de l’organisme Airlines for Europe, principal porte-étendard des intérêts des compagnies, la réforme prévoit un recul drastique des droits des voyageurs.
Aujourd’hui, une indemnisation est possible dès 3 heures de retard. Demain ? Ce seuil pourrait être repoussé à 5 heures minimum, voire 9 heures selon la distance du vol. Or, selon les données du site Flightright, "l’essentiel des retards se situe entre 2 et 4 heures". Résultat : 75 % des passagers européens seraient mécaniquement exclus du droit à compensation.
Ce recul réglementaire ne se limite pas à une question de seuils. Il s’inscrit dans une offensive plus large menée par les compagnies aériennes pour affaiblir les obligations qui leur incombent. Le texte en discussion prévoit d’élargir la définition des « circonstances extraordinaires », ces situations dans lesquelles aucune indemnisation n’est due, contre la jurisprudence établie de la Cour de Justice de l’Union européenne.
Mais surtout, les nouveaux montants prévus rendent la compensation quasiment inaccessible. Il faudrait désormais attendre 9 heures de retard pour espérer toucher 400 euros sur un vol intra-européen ou un vol hors UE de 3 500 à 6 000 kilomètres. 12 heures de retard seraient nécessaires pour obtenir 600 euros sur un vol de plus de 6 000 kilomètres. Quant aux vols de moins de 3 500 kilomètres, ils resteraient plafonnés à 250 euros, mais avec un seuil de déclenchement repoussé à 5 heures. En somme : plus d’attente, moins de garanties.
Une réforme paradoxale en pleine période de profits records
Un autre point fait grincer des dents les associations de consommateurs : la charge de la preuve. Là où le système actuel impose aux compagnies de verser une compensation automatiquement, la réforme exigerait désormais que le consommateur engage une démarche explicite dans les six mois suivant l’incident. Une démarche que peu entreprendront : selon les associations, seul un tiers des usagers réclament effectivement leur dû aujourd’hui.
Ces propositions interviennent dans un contexte économique étonnamment favorable aux compagnies. En pleine reprise post-Covid, le secteur aérien enregistre des bénéfices record. Dès lors, pourquoi réduire les protections des consommateurs alors que la rentabilité est de retour ?
"Ces reculs majeurs sont d’autant plus inacceptables et incompréhensibles que les compagnies aériennes réalisent actuellement des bénéfices records", dénoncent les dix associations de consommateurs, parmi lesquelles l’UFC-Que Choisir, la CLCV ou Familles rurales.
La Commission, le Parlement et le Conseil doivent encore se mettre d’accord pour valider cette révision. Plusieurs députés ont d’ores et déjà exprimé leur opposition, appelant au contraire à renforcer les droits des passagers. Certains acteurs du secteur s’en étonnent aussi : "Les montants ne sont pas actualisés depuis plus de 20 ans alors que le coût de la vie ne cesse d’augmenter", souligne Anaïs Escudié, fondatrice du site RetardVol.
Plutôt que de baisser les seuils, plusieurs experts appellent à augmenter les indemnisations, en s’inspirant de la convention de Montréal qui prévoit une révision des montants tous les cinq ans. Le texte actuel fait donc face à une résistance croissante.