Les fonds marins, dernière frontière de l’appétit extractiviste ? À l’heure où la communauté scientifique appelle à la prudence, une décision fracassante de Washington vient bouleverser les équilibres maritimes et environnementaux.
Trump veut détruire les océans pour récupérer des minerais

Le 24 avril 2025, Donald Trump a signé un décret présidentiel ouvrant la voie à une extraction industrielle massive des minerais des fonds marins, y compris dans les océans et les zones internationales. Cette décision controversée s’inscrit dans une logique de sécurisation des matières premières stratégiques, au moment où les États-Unis entendent réduire leur dépendance à la Chine. Mais derrière l’argument économique, les critiques fusent : atteinte à la biodiversité, contournement du droit international, mépris des normes environnementales.
L’extraction minière sous-marine, nouvelle arme stratégique de Trump
Ce que le décret intitulé Unleashing America’s Offshore Critical Minerals and Resources ordonne n’a rien d’anodin. Il autorise expressément les agences fédérales à délivrer des permis d’exploitation dans les zones situées « au-delà de la juridiction nationale », contournant de facto l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), seul organisme habilité à réguler les activités en haute mer.
Le document précise sans détour : « Notre Nation doit agir immédiatement pour accélérer le développement responsable des ressources minérales des fonds marins, quantifier l’abondance nationale de ces minerais, relancer le leadership américain dans les technologies d’extraction et de traitement, et garantir des chaînes d’approvisionnement sûres », explique la Maison Blanche.
Parmi les minerais visés : nickel, cobalt, cuivre, manganèse, terres rares. Autant de matériaux essentiels à la fabrication de batteries pour véhicules électriques, panneaux solaires et dispositifs électroniques. Des ressources que la Chine contrôle en grande partie sur le marché mondial et dont l’approvisionnement a été remis en cause par Donald Trump et la guerre des douanes qu’il a commencée.
Extraction minière dans les océans : des conséquences graves pour l’environnement
Les ONG environnementales et les chercheurs sont unanimes : l’extraction minière des grands fonds constitue une menace directe pour les écosystèmes marins les plus vulnérables.
Selon The Conversation, l’éminent biologiste marin David Shiffman rappelle que « les zones marines protégées abritent les populations de vie marine les plus saines, les plus diverses et les plus résilientes. Ouvrir ces zones à la pêche industrielle, c’est saper les derniers bastions de biodiversité ». Jeff Watters, de l’ONG Ocean Conservancy, alerte dans Newsweek : « Les zones des États-Unis où des tests miniers ont eu lieu il y a plus de 50 ans ne se sont toujours pas remises. » Il ajoute que les dommages ne concernent pas seulement les fonds marins, mais toute la colonne d’eau et les espèces qui y vivent, des planctons aux cétacés.
La pratique du dragage en eau profonde, nécessaire pour récupérer les nodules polymétalliques, génère des nuages de sédiments destructeurs et détruit les habitats des espèces benthiques, dont certaines n'ont pas encore été découvertes.
Trump défie le droit international pour récupérer des minerais
La dimension juridique de l’affaire est explosive. Les États-Unis n’ont jamais ratifié la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), ce qui ne les empêche pas de revendiquer une légitimité d'action en dehors de leurs eaux territoriales. Duncan Currie, juriste international auprès de la Deep Sea Conservation Coalition, résume la tension : « Prendre un bulldozer contre la Convention sur le droit de la mer serait perçu avec une immense inquiétude par tout pays qui dépend de l’océan ».
Le Canada, à travers l’entreprise The Metals Company (TMC), cherche désormais à obtenir directement des permis américains pour exploiter en haute mer, contournant ainsi l’AIFM. Une rupture du consensus multilatéral. Et ce n’est pas tout : le décret de Trump prévoit également l’étude d’un « mécanisme de partage des bénéfices » pour séduire les pays du Sud. De quoi détourner certains États du processus onusien ?
Trump promet des milliards aux entreprises, la destruction des océans passe au second plan
Pour justifier cette ruée vers les abysses, l’administration Trump agite la promesse de 300 milliards de dollars de PIB supplémentaires et 100 000 emplois créés en dix ans. Des chiffres pour l’instant invérifiables. Victor Vescovo, explorateur des profondeurs et entrepreneur, avertit pourtant : « Ils sous-estiment complètement la brutalité des opérations à plus de 4 000 mètres de profondeur. C’est plus difficile que d’aller dans l’espace. »
Par ailleurs, de nombreux experts rappellent que le vrai goulet d’étranglement ne se situe pas au niveau de l’extraction, mais dans le raffinage des minerais – une étape également dominée par la Chine, et bien plus complexe à relocaliser.
Zones marines protégées : les sanctuaires sacrifiés
Le décret signé par Donald Trump ne s’arrête pas aux zones internationales. Il vise également à rouvrir à la pêche industrielle certaines aires marines protégées américaines, notamment dans le Pacifique.
La zone du Pacific Island Heritage National Marine Monument, protégée depuis 2009 par George W. Bush puis élargie par Barack Obama, est désormais menacée. Pourtant, elle abrite des récifs coralliens intacts et des espèces endémiques, dont le phoque moine hawaïen ou des coraux vieux de plusieurs siècles. Comme le souligne CNN : « Ce retour en arrière nie des décennies de progrès dans la protection des écosystèmes marins. »
La décision américaine ouvre la voie à une déstabilisation du système international de gouvernance maritime. D'autres pays, frustrés par la lenteur des négociations à l’AIFM, pourraient suivre l’exemple américain. Le risque ? Une ruée planétaire non régulée vers les fonds marins, déclenchant des conflits d’intérêts, des dégâts environnementaux irréversibles et une perte de contrôle sur les ressources collectives des océans.