Martinique : pas de reprise économique sans fin des violences

Alors que les premiers bilans officiels font état du marasme économique consécutif aux violences ayant émaillé le mouvement contre la vie chère, la Martinique compte ses morts, sacrifiés sur l’autel du trafic de drogue. Dans un étonnant retournement de posture, le RPPRAC, qui avait encouragé les débordements à l’automne dernier, semble aujourd’hui déplorer la spirale de violence qu’il a lui-même contribué à alimenter.

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By Rédacteur Published on 21 mai 2025 11h19
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Martinique : pas de reprise économique sans fin des violences - © Economie Matin

Les chiffres étaient redoutés, et ils sont aussi mauvais qu'escomptés. Le 7 mai, l'Institut d'émission des départements d'Outre-mer (IEDOM) a publié sur son site Internet la dernière version de sa « synthèse annuelle » portant sur la conjoncture économique en Martinique. Et le bilan dressé par l'institution, qui joue le rôle de relais de la Banque de France dans les territoires ultra-marins, est implacable : « en 2024 », écrivent les auteurs du document, « l'activité économique (martiniquaise) se dégrade ».

 

Le commerce, première victime des débordements

Toujours selon l'IEDOM, la croissance martiniquaise est « en berne, dans l'expectative d'une meilleure visibilité et de signaux positifs ». Les raisons de ce marasme économique sont à rechercher, toujours d'après l'Institut, dans « une conjonction d’éléments défavorables liés notamment à l’instabilité politique internationale et nationale, et au mouvement social contre la vie chère de fin d’année sur le territoire » martiniquais.

Dans le détail, ce sont les secteurs de l'agriculture, du BTP et du commerce qui ont le plus souffert l'année dernière. Si les aléas climatiques ont pesé sur l'activité agricole et que le secteur du bâtiment paie l'absence de grands projets structurants, c'est bien, à l'automne dernier, le mouvement social contre la vie chère qui a obéré l'activité des commerçants de l'île. Les « consommateurs (…) ont été moins enclins à dépenser que les années précédentes », confirme au micro de Martinique la 1ère Adrien Boileau, responsable du service études à l'IEDOM.

Pour l'Institut, la consommation des ménages martiniquais s'est donc retrouvée « fragilisée et partiellement entravée » par le mouvement de protestation et les violences qui ont éclaté en marge des manifestations. De nombreux commerces avaient en effet été pris pour cible par les manifestants les plus radicaux, poussant certains assureurs historiques des professionnels martiniquais à jeter l'éponge. Ainsi de Generali qui, fin novembre, avait annoncé la suspension de toute nouvelle souscription pour le risque d'entreprise aux Antilles françaises.

 

Les conséquences délétères du mouvement social

Pessimiste, le bilan dressé par l'IEDOM n'est cependant pas une surprise. En fin d'année dernière déjà, l'Institut avait mis en garde contre l'inquiétante dégradation du climat des affaires sur l'île, dont l'indice était au plus bas depuis 2021. Alors que les défaillances d'entreprises étaient, avant même le début du mouvement social, en hausse de + 5,7 % sur un an, le taux de chômage grimpait à 11,7 % au premier semestre 2024, et même 14,3 % au deuxième. Et encore n'était-ce là « que les prémices », alertait, en janvier dans les pages des Echos, Guillaume Clément, de Randstad Outre-mer, selon qui ce n'était qu'« à partir de janvier 2025 que l'on (pourrait) mesurer l'ampleur de la crise ».

Dont acte, malheureusement. Tous les acteurs et observateurs économiques de l'île ont pu constater les conséquences délétères du mouvement contre la vie chère sur l'activité : alors que la CCI locale évaluait les pertes pour les entreprises martiniquaises à 75 millions d'euros, le Medef déplorait, de son côté, plus de 170 bâtiments pillés, incendiés ou vandalisés, tout en redoutant la destruction d'un millier d'emplois. De fait, le nombre de demandeurs d'emplois sur l'île a augmenté en 2024, de +1% en moyenne et même de +2% pour les chômeurs de la catégorie A.

 

La Martinique s'enfonce dans la spirale de la violence

Les violences en marge du mouvement contre la vie chère, pour partie orchestrées, encouragées ou tolérées par le RPPRAC, le collectif en pointe dans les manifestations, ont donc eu un impact certain sur l'activité économique de l'île – et, indirectement, sur l'emploi, l'attractivité et la vie quotidienne des Martiniquais. Si un accord a été conclu en octobre pour faire baisser les prix sur plusieurs milliers de produits de première nécessité, ses effets commencent tout juste à se faire sentir. Ils sont, surtout, suspendus au rétablissement durable de la sécurité sur l'île.

On en est loin. Le dimanche 11 mai en effet, trois hommes ont été tués lors d'une fusillade à Fort-de-France. Sur fond de trafic de drogue, ce nouveau drame porte à douze le nombre de victimes tuées depuis le début de l'année en Martinique – dont neuf par armes à feu. C'est d’ailleurs le RPPRAC, par la voix de son charismatique et controversé leader, Rodrigue Petitot, qui au lendemain de la fusillade a déploré « une crise sécuritaire profonde » et exigé que soit conduit un « audit » des politiques de sécurité sur l'île, et que soit mis en œuvre un « plan d'action » pour lutter contre l'insécurité grandissante.

 

Rodrigue Petitot, pompier pyromane ?

Lui-même condamné à une lourde peine de prison pour sa participation au trafic de drogue, condamné à nouveau récemment pour avoir tenu des propos menaçants à l'encontre du préfet de Martinique, Rodrigue Petitot est-il le mieux placé pour déplorer la dégradation de la situation sécuritaire sur l'île aux fleurs ?

« La restauration de la confiance nécessitera des efforts supplémentaires pour créer un environnement économique favorable sur le long terme », conclut dans sa note de synthèse l'IEDOM : indispensable et urgent, le rétablissement de la confiance en Martinique peut-il passer par l'entremise de ceux qui ont, au cours des mois passés, si obstinément soufflé sur les braises ?

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