En 2025, l’industrie du jeu vidéo s’impose comme l’un des piliers de l’économie numérique mondiale. Pourtant, malgré un chiffre d’affaires frôlant les 300 milliards de dollars, le secteur est en perte de vitesse depuis plusieurs années. De nombreux studios licencient leurs salariés.
Jeu vidéo : le STJV, fer de lance du syndicalisme en 2025
Le vernis craque, et il se dessine une réalité sociale jusque-là ignorée. Conditions de travail précaires, crunch interminables, pression constante sur les délais de production : les coulisses de cette industrie en pleine expansion révèlent un modèle de travail souvent éprouvant, où l'absence de régulation claire laisse place à des abus fréquents.
Longtemps marginalisé et peu efficace, le syndicalisme au sein de l’industrie du jeu vidéo a mis du temps à s’imposer. Il connaît un regain de vitalité ces dernières années. En France, le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses du Jeu Vidéo (STJV) s'affirme désormais comme l'un des acteurs incontournables de cette mutation sociale. Né d’une volonté de structurer les luttes et de défendre les droits des salariés, le STJV multiplie les actions, fédère les initiatives et s’impose comme un interlocuteur privilégié auprès des grands studios comme des indépendants. Ancré à l’extrême gauche, se revendiquant de la tradition anarcho-syndicaliste et proche de la C.N.T., le STJV se différencie par son engagement contre le sexisme et le harcèlement professionnel, la défense des minorités, les égalités de salaire… des combats longtemps ignorés par les autres syndicats.
Comment le STJV est-il parvenu à s’imposer dans un secteur historiquement peu syndiqué ? Quelles sont ses revendications, ses méthodes d’action, et surtout, quel est son impact sur l’économie du jeu vidéo en France ?
Le contexte de l'industrie du jeu vidéo en 2025
L'année 2025 marque un tournant décisif pour l'industrie du jeu vidéo. Les ventes explosent, l'e-sport se hisse au rang des disciplines sportives les plus médiatisées, et les développeurs, designers, testeurs sont plus sollicités que jamais. Pourtant, les conditions de travail restent fragiles. Le phénomène du crunch, ces périodes de travail intensif imposées pour respecter les deadlines, persiste malgré les critiques grandissantes. Certaines révélations éclatent régulièrement, pointant du doigt des studios de renom, comme Ubisoft et Don’t Nod, accusés d’accabler leurs équipes pour atteindre des objectifs toujours plus ambitieux.
Le modèle économique, de plus en plus tourné vers le game as a service (GaaS), renforce cette pression. Mises à jour constantes, contenus additionnels payants, événements en ligne : les développeurs doivent suivre un rythme effréné, souvent au détriment de leur équilibre personnel.
En parallèle, la mondialisation de la production vidéoludique favorise l'externalisation massive vers des pays à faible coût de main-d'œuvre, creusant les inégalités. Les grands studios profitent de cette flexibilité, tandis que les travailleurs subissent une précarisation accrue, renforçant l'urgence d'une meilleure structuration syndicale. À titre d’exemple, la prise de contrôle du géant chinois Tencent sur les licences historiques, comme Assassin's Creed, est de plus en plus décriée.
C'est dans ce climat tendu que le STJV émerge en France, prônant une régulation plus stricte et une protection accrue des travailleurs. Sa montée en puissance s'explique autant par un contexte social sous tension que par une prise de conscience collective des salariés de l'industrie.
La montée en puissance du STJV
Créé en 2017, le Syndicat des Travailleurs et Travailleuses du Jeu Vidéo (STJV) est le premier syndicat français entièrement dédié à la défense des droits des employés de l'industrie vidéoludique. Face aux dérives du secteur, le STJV s’est donné pour mission de lutter contre les pratiques abusives, de sécuriser les contrats de travail et de renforcer les droits sociaux des salariés.
La montée en puissance du STJV repose sur sa capacité à s'adapter aux spécificités du secteur : contrats précaires, freelances sous-payés, périodes de crunch prolongées. Le syndicat a su développer un modèle de mobilisation hybride, mêlant présence numérique et actions concrètes sur le terrain. Les réseaux sociaux sont devenus l'un de ses principaux leviers pour dénoncer les abus, alerter l'opinion publique et fédérer les travailleurs autour de revendications communes.
En quelques années, le STJV a multiplié les initiatives : soutien aux grèves, négociations avec les entreprises, campagnes de sensibilisation sur les droits des travailleurs.
Récemment, le STJV a réussi à faire plier le studio français Don't Nod. En effet, en fin d’année dernière, un PSE (Plan de sauvegarde de l’emploi) prévoyait le licenciement de 69 personnes, soit près d’un tiers des effectifs. Le STJV a soutenu les salariés en grève, dénonçant des conditions de travail dégradées, des périodes de crunch prolongées et un manque de transparence de la direction.
Le syndicat a réussi à sauver 23 salariés. Il y a eu 46 départs volontaires.
La première grève nationale de l'industrie du jeu vidéo français, sur l’initiative du STJV, s’est tenue place de la République, à Paris, le 13 février dernier. Pour les travailleurs du secteur, c’est une date historique.
Une cagnotte de grève, ouverte le 12 février, avait récolté plus de 25 000 dollars en moins de 24 h, pour atteindre au total les 50 000 dollars. Une caisse de grève pour les luttes futures.
Le syndicat s'appuie également sur un réseau de partenaires européens pour faire pression sur les multinationales du secteur, renforçant ainsi son poids dans les négociations. Cette approche transnationale permet de lutter contre la fragmentation des droits sociaux, particulièrement marquée dans l'industrie du jeu vidéo.
L'impact du STJV sur l'industrie
L'ascension du STJV n'a pas seulement marqué un tournant dans la prise de conscience des travailleurs du secteur. Elle a également influencé les pratiques des studios en France. Les campagnes de sensibilisation et les négociations menées par le syndicat ont conduit à une amélioration notable des conditions de travail dans certains grands studios, avec des accords sur le plafonnement des heures supplémentaires et le respect des délais sans recours systématique au crunch.
Le STJV a également contribué à renforcer le dialogue social au sein des entreprises. Certains grands acteurs de l'industrie, on pense au géant Ubisoft, ont ouvert des discussions tripartites avec les syndicats et les représentants du personnel, permettant une meilleure prise en compte des revendications salariales et des conditions de travail. Cette dynamique a inspiré d'autres studios européens, créant un effet domino sur les pratiques managériales.
Cependant, les résistances demeurent. Certaines multinationales opposent encore un refus catégorique aux négociations, considérant le syndicalisme comme un frein à la flexibilité nécessaire dans un marché hautement concurrentiel. Le STJV s'attaque désormais à cette fracture sociale, cherchant à internationaliser ses luttes pour instaurer un socle commun de droits au niveau européen.
Les perspectives pour le syndicalisme dans le jeu vidéo
L’avenir du syndicalisme dans le jeu vidéo semble se dessiner autour de deux axes principaux : l’internationalisation des luttes et le renforcement des droits sociaux. Le STJV entend poursuivre son travail de structuration en collaborant avec d'autres syndicats européens, notamment en Allemagne et en Pologne, où l'industrie se développe à un rythme effréné.
Les enjeux environnementaux et éthiques liés à la production des jeux vidéo, ainsi que l'essor de l'intelligence artificielle, pourraient également constituer des champs de bataille syndicaux dans les années à venir. Le STJV a déjà amorcé une réflexion sur ces questions, visant à intégrer ces préoccupations dans ses prochaines campagnes de mobilisation.
Enfin, l’idée d’un syndicat transnational pour l’industrie vidéoludique commence à émerger, permettant d’uniformiser les pratiques et de garantir un socle de droits minimal pour tous les travailleurs du secteur.
Le STJV pourrait bien être l’initiateur de cette révolution sociale à l’échelle européenne.