Le 10 juin 2025, Emmanuel Macron a redit sa volonté d’interdire l’accès aux réseaux sociaux aux moins de 15 ans si l’Union européenne ne prend pas rapidement les devants. Cette sortie présidentielle, largement médiatisée, ravive un débat ancien mêlant régulation numérique, protection des mineurs et rapport de force entre États et plateformes. Derrière la fermeté des mots, une cascade d’obstacles techniques, juridiques et politiques surgit.
Moins de 15 ans sur TikTok : Macron menace, la techno rigole

Macron hausse le ton : les réseaux sociaux dans le viseur présidentiel
Le chef de l’État ne s’est pas embarrassé de circonlocutions. Face à l’énième déferlante de violences scolaires et de harcèlement en ligne, il a asséné : « On doit interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans ». Et d’ajouter, quelques instants plus tard : « Je nous donne quelques mois pour arriver à faire la mobilisation européenne. Sinon (...) on commence à le faire en France. On ne peut pas attendre ».
Ces déclarations ne tombent pas du ciel. Quelques jours plus tôt, une surveillante d’un collège à Nogent-sur-Oise avait été violemment agressée par un élève, dans un climat où les vidéos d’attaques tournent en boucle sur TikTok et Snapchat. Pour Emmanuel Macron, le lien est évident : « On ne peut pas attendre », martèle-t-il encore.
Réseaux sociaux : une interdiction techniquement explosive
Interdire les réseaux sociaux aux mineurs ? L’idée paraît simple. La mise en œuvre, elle, frôle l’impossible. Comment s’assurer qu’un adolescent de 14 ans ne crée pas un compte en mentant sur sa date de naissance ? À cette question, ni Facebook (Meta), ni ByteDance (TikTok) ni X (anciennement Twitter) n’ont encore trouvé de réponse crédible.
Emmanuel Macron évoque des outils de vérification d’identité et de reconnaissance faciale. Mais ces solutions posent deux problèmes majeurs. D’abord, leur déploiement massif nécessiterait une infrastructure technologique robuste, aujourd’hui inexistante à l’échelle nationale. Ensuite, elles soulèvent de sérieuses inquiétudes en matière de protection des données personnelles, notamment chez les adolescents eux-mêmes. L’argument du « paternalisme numérique » ne convainc pas les défenseurs des libertés individuelles.
De plus, l’État français n’a aucune prise directe sur les serveurs des géants du numérique. Imposer une règle sans pouvoir la faire appliquer globalement reviendrait à construire un mur... sans frontières.
L’Union européenne : alliée ou obstacle de Macron ?
Emmanuel Macron le sait : une mesure franco-française serait aussitôt contournée. C’est pourquoi il fait pression sur Bruxelles. Le message est clair : « L’Europe doit avancer rapidement, sinon la France ira seule ». Une menace déguisée ? Non, une habitude. Depuis le Règlement général sur la protection des données (RGPD), les États membres ont appris à négocier entre souveraineté numérique et action collective.
Mais l’Union européenne, fidèle à sa tradition de lenteur législative, n’a pas encore formulé de cadre clair pour interdire les réseaux sociaux à une tranche d’âge spécifique. Le Digital Services Act (DSA) impose certaines obligations de modération, mais n’inclut aucun âge minimum applicable uniformément.
En somme, la promesse de Macron revient à dire : « Bougez-vous, ou je le ferai sans vous ». Le problème ? Sans les autres pays, l’interdiction serait inopérante au sein d’un espace numérique transnational.
Les parents en première ligne… et les plateformes en roue libre
Dans ses déclarations, le président a aussi interpellé les familles, accusées de déléguer à l’État ce qu’ils n’assument plus dans l’intimité domestique : « L’autorité parentale est le premier pare-feu numérique ». Une manière de remettre chacun devant ses responsabilités ? Sans doute. Mais une stratégie politique aussi, qui permet de partager la charge d’un problème sans solution unique.
Pendant ce temps, les plateformes continuent de capitaliser sur l’attention des plus jeunes. TikTok se contente d’un message générique d’avertissement. Meta a récemment limité la publicité ciblée sur Instagram pour les mineurs, mais n’a pas modifié sa politique d’inscription.
En apparence, Emmanuel Macron propose une solution radicale à un problème qui préoccupe nombre de parents et d’éducateurs. En réalité, cette promesse d’interdiction des réseaux sociaux pour les moins de 15 ans s’apparente davantage à une déclaration de guerre symbolique qu’à une réforme faisable à court terme. L’Europe tergiverse, les outils techniques ne sont pas prêts, et les plateformes jouent la montre.
Le président agite le spectre d’une mesure unilatérale, mais se heurte à la mécanique complexe du numérique mondial. En 2025, interdire TikTok à un collégien relève toujours plus du vœu pieux que de la politique publique.