À Bruxelles, les mots changent, les seuils glissent, les règles s’assouplissent. Un constat s’impose : l’industrie automobile vient d’arracher à l’Union européenne un précieux sursis.
Industrie automobile : l’UE repousse les sanctions sur les émissions

Jeudi 8 mai 2025, le Parlement européen a validé un amendement clef du règlement 2023/851 relatif aux normes de performance en matière d’émissions de CO₂ pour les voitures et les utilitaires légers neufs. Ce texte, introduit en procédure d’urgence, modifie substantiellement le mode de calcul des émissions pour la période 2025–2027. Alors que l’Union vantait jusqu’ici son ambition climatique, ce vote marque un tournant stratégique au cœur du dispositif réglementaire européen.
Normes CO₂ : quand Bruxelles desserre la bride à l’industrie automobile
Le texte adopté à Strasbourg à 458 voix pour, 101 contre et 14 abstentions redéfinit l'application des normes antipollution imposées aux constructeurs. Au lieu d’une évaluation annuelle, les émissions seront désormais calculées sur une moyenne glissante de trois ans (2025 à 2027). Une opération d'équilibrisme, censée donner de l'air aux industriels... tout en maintenant les objectifs.
Selon le communiqué officiel de la Commission européenne publié le 31 mars 2025, cette mesure de « flexibilité » permet aux fabricants de compenser des dépassements ponctuels par de meilleures performances ultérieures. Ursula von der Leyen, présidente de la Commission, assume cette orientation : « Nous accordons plus de flexibilité à ce secteur clé, tout en maintenant le cap sur nos objectifs climatiques. »
La Fédération européenne des constructeurs automobiles s’est félicitée d’« un pas dans la bonne direction », tandis que John Elkann (Stellantis) et Luca de Meo (Renault) ont salué un texte « attendu » et « nécessaire », selon Caradisiac.
L’urgence climatique contre la pression industrielle
Mais derrière l’accord, une autre lecture s’impose. Ce "lissage" réglementaire, aussi opportun soit-il pour les groupes automobiles, représente un recul tangible pour l’agenda environnemental européen. Les écologistes dénoncent une capitulation pure et simple. Selon l’article du Monde du 8 mai 2025, plusieurs eurodéputés du groupe Verts/ALE ont fustigé « une soumission à la logique des lobbys industriels », affirmant que « le Green Deal est méthodiquement vidé de sa substance ».
Plus caustique encore, Sud Ouest évoque un « énième recul », affirmant que « les normes sont sacrifiées sur l’autel de la compétitivité ». Car derrière l’assouplissement technique, ce sont jusqu’à 15 milliards d’euros d’amendes potentielles qui s’envolent.
Une réglementation révisée pour retarder les sanctions, pas pour les annuler
L’article 7 du règlement amendé reste en vigueur : les 81 g de CO₂ par kilomètre parcouru restent la cible de référence. Seule la temporalité change. L’échéance du 31 décembre 2025, auparavant couperet, devient une étape parmi d’autres. En 2027, le bilan sera fait sur la base d’une moyenne triennale. L’objectif ne disparaît pas, mais sa mise en œuvre est différée.
Le Parlement a invoqué la nécessité de garantir aux industriels « une visibilité réglementaire propice à l’investissement ». En filigrane, il s’agit de rassurer les marchés et de soutenir la transition vers le tout-électrique, toujours prévue pour 2035. La fameuse clause de revoyure sur cette échéance pourrait, elle aussi, arriver plus tôt que prévu : les discussions devraient s’ouvrir dès la rentrée 2025.
Ce vote constitue un signal politique fort : Bruxelles entend ménager l’industrie, quitte à retarder ses ambitions écologiques. Pourtant, les chiffres d’émissions stagnent et les ventes de véhicules électriques plafonnent à moins de 20 % du marché européen. Les constructeurs européens ont gagné du temps, mais le calendrier environnemental, lui, ne ralentit pas.
Les premiers arbitrages de la clause de 2035 s’annoncent houleux. D’ici là, reste à savoir si cette flexibilité bénéficiera à la transition... ou si elle servira de prétexte à un nouveau coup de frein sur les normes.