À Harvard, la riposte d’une université face à Donald Trump

Harvard, symbole d’élite et de savoir, se retrouve au centre d’un affrontement politique inattendu. Ce bras de fer interroge sur les limites de l’autonomie universitaire dans une démocratie sous tension.

Ade Costume Droit
By Adélaïde Motte Published on 24 avril 2025 17h00
Harvard
À Harvard, la riposte d’une université face à Donald Trump - © Economie Matin

Le 21 avril 2025, l’université Harvard a officiellement déposé plainte contre l’administration de Donald Trump, dénonçant une mesure jugée arbitraire : le gel de 2,2 milliards de dollars de subventions fédérales (environ 1,9 milliard d’euros). Cette décision radicale fait suite à un refus de la part de l’établissement de se conformer à une série d’exigences imposées par Washington. À travers cette affaire, le spectre d’une instrumentalisation politique du financement public ressurgit, exposant les failles structurelles d’un système universitaire dépendant de la bienveillance des gouvernants.

Harvard dans le viseur : pourquoi Trump a suspendu les subventions

Les justifications officielles invoque une lutte contre l’antisémitisme. Cependant, les détracteurs de Donald Trump y voient une stratégie de contrôle idéologique. L’administration Trump, depuis plusieurs semaines, cible les universités les plus prestigieuses des États-Unis, accusées d’avoir « laissé prospérer l’antisémitisme » lors de manifestations étudiantes liées au conflit à Gaza.

Dans une lettre datée du 11 avril, la Maison-Blanche intime à Harvard d’accepter un audit idéologique, de revoir ses pratiques d’embauche, de contrôler le profil politique de ses enseignants, et de signaler au gouvernement les étudiants étrangers soupçonnés de comportements inappropriés.

L’université refuse. Alan Garber, président d’Harvard, déclare : « Ne vous méprenez pas : Harvard rejette l’antisémitisme et la discrimination sous toutes ses formes et procède activement à des réformes structurelles pour éradiquer l’antisémitisme de son campus. » En représailles, Trump active le levier budgétaire. Subventions gelées, exonérations fiscales menacées, contrôle renforcé de l'immigration étudiante : une pression financière aussi brutale que calculée.

Les subventions publiques, outil de coercition politique

Le cas Harvard dépasse le simple cadre d’un conflit ponctuel. Il révèle une vérité systémique : les subventions fédérales sont des instruments politiques. Conditionnées à des critères mouvants et subjectifs, elles exposent les institutions à l’ingérence des majorités successives.

Dans une plainte déposée au tribunal fédéral du Massachusetts, l’université accuse le gouvernement de violer le premier amendement de la Constitution : « Cette affaire concerne les efforts déployés par l’administration pour utiliser le gel de subventions fédérales comme un moyen pour prendre le contrôle des décisions académiques à Harvard. »

La logique est implacable : ce que l’État finance, il cherche à le dominer. Et ce contrôle ne connaît pas de couleur partisane. Si Trump agit avec fracas, d’autres administrations n’ont pas hésité à user du même levier, à plus petite échelle, pour influencer les politiques d’admission, de recherche ou de recrutement. La gauche elle-même n’est pas exempte de ce soupçon, bien que ses pressions soient moins visibles, souvent enveloppées dans des injonctions éthiques.

Conséquences pour Harvard : un coup d’arrêt à la recherche

Avec 2,2 milliards de dollars en moins, ce sont des centaines de projets scientifiques qui se trouvent gelés. Recherche médicale, innovation technologique, exploration en sciences fondamentales : tous les domaines sont touchés.

Selon un communiqué de l’université publié le 23 avril 2025 sur son site officiel, « le gel du financement compromet gravement les travaux en cours, nuit à la collaboration internationale, et met en péril des avancées vitales dans des domaines aussi critiques que le cancer, les maladies infectieuses ou la transition énergétique ».

Harvard, malgré son immense dotation privée, reste partiellement dépendante des fonds publics pour des programmes de grande envergure. Et c’est cette dépendance qui se retourne aujourd’hui contre elle.

Une riposte universitaire, mais une menace nationale

En signant une déclaration collective, une centaine de présidents d’université, dont ceux de Brown, Yale, Princeton et Cornell, se sont levés contre « l’ingérence gouvernementale sans précédent » et l’« utilisation coercitive du financement public de la recherche ». Tous redoutent que ce précédent ne transforme la relation entre État et universités en une vassalisation déguisée.

« Nous parlons d’une seule voix contre l’ingérence gouvernementale sans précédent », affirment les signataires. En face, le Congrès à majorité républicaine a lancé une enquête parlementaire contre Harvard, l’accusant de « violer les lois sur l’égalité ». Le bras de fer est total, et l’enseignement supérieur américain se retrouve au cœur d’une bataille de pouvoir.

L’affaire Harvard pose une question fondamentale : un établissement peut-il réellement être libre s’il dépend d’un pouvoir central pour exister ? L’indépendance académique a un prix. Et tant que les subventions dépendront du bon vouloir politique, aucune université – aussi riche soit-elle – ne sera à l’abri d’un chantage idéologique. Harvard a choisi la voie du conflit. Mais le véritable enjeu concerne l’ensemble des universités du pays, et au-delà, l’idée même d’un savoir libre, à l’abri des caprices des puissants.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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