Une équipe scientifique britannique a réussi un exploit que la biologie développementale attendait depuis des décennies : filmer, dans un embryon de souris, la genèse du cœur. Ce moment charnière de la morphogenèse, le passage d’un amas cellulaire informe à une structure cohérente, rythmée, fonctionnelle, a été capturé image par image grâce à une technologie de microscopie de pointe. Et le résultat est aussi inattendu que fascinant.
Des chercheurs filment pour la première fois la formation d’un cœur chez une souris

Quand le cœur s’esquisse
On pensait que les cellules se déplaçaient de façon aléatoire dans l’embryon. C’était faux. Grâce à une microscopie à feuille de lumière avancée, les chercheurs du University College London (UCL) et du Francis Crick Institute ont enregistré pendant 40 heures, toutes les deux minutes, le ballet des cellules dans un embryon de souris. Objectif : suivre la formation du cœur, de la gastrulation à l’émergence du tube cardiaque primitif. « C’est la première fois que nous pouvons observer des cellules cardiaques d’aussi près et pendant aussi longtemps au cours du développement des mammifères », a déclaré le Dr Kenzo Ivanovitch, du UCL Great Ormond Street Institute of Child Health, auteur principal de l’étude parue dans The EMBO Journal le 13 mai 2025, et chercheur pour la British Heart Foundation.
Résultat ? Les cellules ne bougent pas au hasard. Elles suivent des trajectoires coordonnées, déterminées très tôt, bien avant que ne se forment les cavités cardiaques. L’idée même de chaos embryonnaire vole en éclats : « Nos résultats démontrent que la détermination du destin cardiaque et le mouvement directionnel des cellules peuvent être régulés beaucoup plus tôt dans l'embryon que ne le suggèrent les modèles actuels », affirme le chercheur.
Cœur de souris, clés de l’humain
Au-delà de la prouesse technologique, c’est toute une révision de la carte du développement cardiaque qui s’annonce. L’équipe a identifié deux lignées cellulaires distinctes : l’une donne naissance au ventricule gauche et au canal atrioventriculaire, l’autre aux oreillettes. Les premières apparaissent tôt, au sein du mésoderme proximal, et forment le croissant cardiaque. Les secondes, plus tardives, constituent les zones d’entrée du tube cardiaque, là où le sang affluera.
Cette double origine, filmée en 3D et suivie au niveau cellulaire pendant cinq générations, bouleverse les modèles. L’étude révèle également l’existence de progéniteurs multipotents (capables de donner plusieurs types cellulaires) mais surtout de nombreuses cellules « uni-fated », à la destinée rigoureusement tracée. Loin d’un simple alignement de données, cette recherche met en lumière une véritable chorégraphie cellulaire : les sœurs issues d’une même division migrent souvent ensemble, de façon coordonnée, tandis que les descendantes de progéniteurs plus polyvalents se dispersent davantage, comme si la précision naissait de la spécialisation.
Une avancée décisive pour la médecine cardiaque
Filmer le cœur en train de se former, ce n’est pas seulement une curiosité scientifique. Ce sont aussi des perspectives nouvelles pour comprendre les malformations congénitales, qui affectent près d’un bébé sur 100. En remontant à l’origine de ces anomalies, jusqu’à la première organisation des cellules dans l’embryon, la recherche ouvre des pistes pour les prévenir ou les corriger. « Cela change fondamentalement notre compréhension du développement cardiaque en montrant que ce qui semble être une migration cellulaire chaotique est en réalité régie par des modèles cachés », explique encore Kenzo Ivanovitch, dans des propos rapportés par Ça m’intéresse.
En parallèle, cette exploration fine des mécanismes embryonnaires nourrit aussi l’ingénierie tissulaire et la médecine régénérative. Recréer un organe, ce n’est pas seulement empiler des cellules, c’est suivre les codes invisibles qui président à leur agencement. Et ce que les chercheurs ont vu dans l’embryon de souris, c’est peut-être le plan directeur du cœur humain de demain.