Le reste du monde doit rattraper les États-Unis sur le plan cyclique, mais il est encore trop tôt pour parler d’un changement structurel de l’écosystème économique mondial.
Fin de l’exceptionnalisme américain ?
Au cours des 100 premiers jours de la présidence de Donald Trump, j’ai effectué de nombreux déplacements pour rencontrer des clients, notamment au Canada. Une question revenait fréquemment : assistons-nous au déclin de l’exceptionnalisme américain ?
C’est une question importante, et pour y répondre, il faut d’abord répondre à une autre : qu’est-ce que l’exceptionnalisme américain ?
Ecart de croissance
On pourrait définir l’exceptionnalisme américain comme un phénomène relativement récent : la forte performance de l’économie et du marché boursier américains depuis la pandémie, en particulier comparée à l’Europe et à la Chine.
Dans ce cas, la réponse est “oui”, nous pensons que cet “exceptionnalisme” touche effectivement à sa fin sur le plan cyclique, sous l’effet d’une croissance attendue plus faible et d’une augmentation de l’inflation.
Une partie de l’écart de croissance positive qui s’est creusé depuis la pandémie reposait sur une dépense publique qui s’est finalement avérée peu viable, et qui a conduit à un déficit budgétaire des États-Unis dépassant les 6 %. La semaine dernière, nous avons appris que l’économie américaine s’était repliée d’environ 0,3 % en rythme annualisé au premier trimestre 2025. Un élément clé du calcul du PIB est la contribution des “exportations nettes”, qui s’est révélée fortement négative pour le trimestre, les entreprises s’étant ruées sur les biens importés avant l’instauration de nouveaux droits de douane. Mais la consommation positive et la reconstitution des stocks ont compensé ce phénomène, laissant une baisse de 0,25 % des dépenses publiques comme principale contribution négative résiduelle.
Beaucoup de facteurs positifs et négatifs, mais au final, un chiffre net négatif qui, s’il est confirmé au deuxième trimestre, remplirait les conditions d’une récession. Une consommation élevée aujourd’hui pourrait signifier une consommation plus faible demain. À ce stade, cependant, les données concrètes suggèrent que le ralentissement de la croissance américaine reflète un rôle moins important de l’État dans l’économie, ce qui correspond à l’un des objectifs affichés de l’actuelle administration américaine. Celle-ci s’inscrit dans une politique favorable au secteur privé et à la croissance, incluant la prolongation des baisses d’impôts et un assouplissement réglementaire.
Cette transition cyclique, combinée au basculement structurel d’un modèle public vers un modèle privé, s’annonce difficile. L’approche imprévisible en matière de politique commerciale la rend plus encore plus compliquée qu’elle ne devrait l’être, mais nous pensons que l’objectif final sera positif à long terme : une croissance américaine plus durable.
La première puissance économique mondiale
Une autre façon de définir l’exceptionnalisme américain est plus profonde et plus historique. Elle renvoie à l’émergence des États-Unis en tant que première puissance économique mondiale.
Cela repose en partie sur la décision prise à Bretton Woods de faire du dollar le pivot du système financier et commercial mondial. Mais les véritables forces et atouts de l’économie américaine sont plus importantes encore : des marchés de capitaux vastes et liquides, un marché du travail bien formé et flexible, ainsi qu’une culture entrepreneuriale et du risque exceptionnelle.
Dans le capital-risque américain, par exemple, huit ou neuf échecs sont anticipés dans les projections d’investissement pour découvrir un ou deux futurs “licornes”. Et ces échecs ne mettent pas nécessairement un terme aux carrières : certains des fondateurs les plus prospères ont échoué auparavant, souvent à plusieurs reprises.
En comparaison, l’Europe dispose d’un marché de la consommation d’une taille comparable, mais d’un marché de capitaux plus petit et beaucoup plus fragmenté, ainsi qu’un marché du travail moins flexible. L’économie chinoise reste quant à elle dépendante de l’investissement public plutôt que de la consommation, et ses marchés de capitaux sont étroitement contrôlés.
L’ensemble de ces éléments a permis aux travailleurs, entrepreneurs et investisseurs américains de prendre les risques nécessaires pour s’adapter aux changements économiques rapides, comme ce fut le cas avec la révolution industrielle au début du XXe siècle ou le développement d’internet il y a 10 ans.
Aujourd’hui, nous pensons que des phénomènes comme l’essor de l’intelligence artificielle, ou même les perturbations croissantes en politique, en géopolitique et dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, renforcent encore l’avantage concurrentiel que constitue cette flexibilité proprement américaine.
Rattrapage cyclique
Y a-t-il eu récemment des flux de capitaux des États-Unis vers d'autres régions ? C’est ce que les données semblent indiquer, mais nous y voyons un phénomène cyclique, non structurel, et nous anticipons que la prédominance du dollar américain perdurera dans un avenir proche.
Les États-Unis (et la Réserve fédérale américaine) se trouvent à un moment délicat du cycle, marqué par des pressions inflationnistes conjuguées aux effets négatifs des droits de douane et de la baisse des dépenses publiques. À l’inverse, l’Europe présente des perspectives d’inflation plus modérées et vient d’entamer un nouveau cycle de relance budgétaire. C’est pourquoi notre comité d’allocation d’actifs a récemment relevé sa position sur les actions et les obligations européennes.
Ainsi, si des clients me demandent si le reste du monde devrait rattraper une partie de son retard cyclique vis-à-vis des États-Unis, ma réponse est oui. Mais s’ils me demandent si le leadership américain sur l’économie mondiale, à long terme, est en recul, ma réponse est non.
« L’activité principale du peuple américain, c’est le business », déclarait le président Calvin Coolidge il y a presque exactement un siècle. À nos yeux, cette affirmation reste plus vraie pour les États-Unis que pour tout autre pays au monde.