Le 21 mai 2025, l’Assemblée nationale a adopté en dernière lecture la proposition de loi visant à interdire le démarchage téléphonique non consenti, texte n°996-A0, ouvrant une nouvelle ère pour la régulation de la prospection commerciale en France. Cette mesure, dont l’entrée en vigueur est fixée au 11 août 2026, bouleverse profondément le modèle économique de la relation client, mettant en péril des dizaines de milliers d’emplois dans le secteur.
Fin du démarchage téléphonique : une bombe sociale qui causera 50.000 chômeurs

Démarchage téléphonique : une réponse ferme à une exaspération généralisée
Ce durcissement législatif trouve sa justification dans le rejet massif du démarchage intempestif par les citoyens : selon une enquête citée par Le Figaro, 97 % des Français se déclarent excédés par ces appels non sollicités, qu’ils jugent intrusifs et inefficaces. Longtemps jugée insuffisante, la plateforme Bloctel, instaurée en 2016, avait pour ambition de filtrer les appels commerciaux. Elle sera supprimée dans le cadre du nouveau dispositif, comme l’a confirmé Relation Client Mag.
Désormais, aucun appel téléphonique à visée commerciale ne pourra être émis sans un consentement explicite et préalable de la personne démarchée. Les fichiers de prospection dits "à froid", traditionnellement fournis par les courtiers de données, deviennent ainsi caduques.
Jusqu’à 55 000 emplois menacés
La portée sociale de cette réforme est considérable. Selon les estimations croisées du SP2C (Syndicat des professionnels des centres de contact) et de l’AFRC (Association française de la relation client), entre 8 500 et 55 000 postes pourraient être supprimés, en incluant les emplois directs en France et ceux liés à la sous-traitance à l’étranger.
Caroline Adam, déléguée générale du SP2C, dénonce dans une interview publiée par Relation Client Mag une décision disproportionnée :« Ce sont jusqu’à 55 000 emplois menacés. Ce texte part d’un postulat erroné : il ne fait pas la différence entre les acteurs délinquants et les acteurs vertueux. »
Les professionnels de la relation client, notamment les petites structures implantées en zones périurbaines, redoutent une vague de fermetures, et s’interrogent sur les conditions de reconversion promises par les pouvoirs publics.
Les failles d’un écosystème à bout de souffle
Derrière cette réforme se profile un constat d’échec de l’autorégulation sectorielle. L’État reconnaît l’inefficacité des outils actuels à encadrer le démarchage. Dans le rapport législatif n°996, les députés de la commission des affaires économiques soulignent que la DGCCRF ne dispose ni des moyens techniques ni humains pour sanctionner efficacement les fraudeurs. La traçabilité des appels, souvent dissimulée derrière des plateformes offshore, rendait toute action dissuasive quasiment inopérante.
Le texte adopté supprime ainsi toute tolérance pour les appels non sollicités, quitte à affaiblir l’ensemble de la chaîne BtoC, y compris les activités humanitaires ou mutualistes, comme l’a souligné Caroline Adam dans Relation Client Mag : « Il faut absolument des exceptions pour certains secteurs comme le don du sang ou les mutuelles à but non lucratif. »
Un calendrier serré et une opposition constitutionnelle
Pour amortir le choc, le Parlement a validé un report de l’entrée en application au 11 août 2026, soit plus de quatorze mois de transition. Ce délai vise à permettre aux entreprises concernées de redéfinir leurs stratégies commerciales et de former leurs équipes à d’autres canaux de contact.
Cependant, le groupe La France insoumise a saisi le Conseil constitutionnel le 26 mai 2025, contestant notamment la disposition qui autorise, dans certaines circonstances, une dérogation au principe de non-démarchage pour les services publics ou l’administration. Cette saisine pourrait, en cas de censure partielle, repousser encore l’édiction du décret d’application attendu.
Une bascule irréversible pour un secteur en mutation
Alors que la data devient un levier stratégique de plus en plus encadré, la prospection téléphonique telle qu’elle a dominé les deux dernières décennies semble vouée à une disparition rapide. Dans les centres d’appels, c’est toute la logique de contact sortant qui est remise en cause. L’interdiction de revente de fichiers professionnels (proposée par amendement CE35) pourrait même toucher le modèle BtoB, ce qui n’était pas initialement prévu par les auteurs du texte.
Pour certains, cette loi représente une victoire des droits des consommateurs sur les logiques marchandes ; pour d’autres, un coup de massue sur un secteur déjà fragilisé par l’automatisation et la digitalisation des échanges.
Quoi qu’il en soit, la page du démarchage téléphonique “à froid” sera définitivement tournée en août 2026.