Shein revient en force, mais pas tout à fait comme on l’attendait. Le géant mondial de la fast-fashion, souvent accusé de saturer le marché avec des vêtements à usage unique, s’allie à un mastodonte indien pour modifier sa stratégie industrielle. Et cette transformation, derrière ses apparences commerciales, pourrait bien être un camouflet pour l’Occident.
Fast-fashion : Shein relocalise en Inde pour contourner la loi française

Le 9 juin 2025, une annonce bouleversait discrètement les équilibres de la fast-fashion mondiale : selon l’agence Reuters, Shein et son nouveau partenaire, Reliance Retail, visent à exporter des vêtements “Made in India” dans un délai de six à douze mois, une première pour la marque. Derrière ce changement géographique, se cache une réponse directe à la guerre commerciale sino-américaine, mais aussi, en creux, une stratégie pour contourner les restrictions européennes sur les produits à bas coût venus de Chine.
Production en Inde : ce que cache la nouvelle stratégie de Shein
Depuis février 2025, l’enseigne Shein est officiellement de retour en Inde via un accord de licence avec Reliance Retail, filiale du conglomérat Reliance Industries, contrôlé par Mukesh Ambani. Les vêtements de la marque sont désormais produits localement et distribués sur le site SheinIndia.in. Mais ce partenariat va bien au-delà du marché domestique.
Selon des sources internes citées par Reuters, Reliance a déjà signé avec 150 fabricants de vêtements indiens et discute avec 400 autres, dans l’objectif affiché d’atteindre 1 000 fournisseurs en moins d’un an. Ces ateliers ne produiront pas seulement pour l’Inde : l’objectif est clair, exporter rapidement vers les marchés britannique et américain. « Le but est d’avoir 1 000 usines indiennes fabriquant des vêtements de marque Shein d’ici un an, pour le marché indien et pour alimenter certains sites mondiaux de Shein », explique Reuters.
Une déclaration qui contredit partiellement celle de Shein, qui précise pourtant que « la licence de marque à Reliance ne concerne que la consommation domestique en Inde » selon Business Standard. Cette prudence tente de masquer l’ambition réelle du projet. Le ministre indien du Commerce, Piyush Goyal, a d’ailleurs affirmé devant le Parlement, en décembre 2024, que ce partenariat visait bien à construire « un réseau de fournisseurs indiens de vêtements de marque Shein destinés à être vendus domestiquement et mondialement ».
La fast-fashion version "on-demand" : une production un peu plus raisonnable ?
Pour justifier ce virage industriel, Reliance mise sur un modèle réputé plus agile : la production à la demande. Les fournisseurs indiens sont encouragés à produire 100 pièces par design, avant d’augmenter les volumes pour les articles les plus vendus. Objectif : éviter les surstocks, réduire les invendus, et donner une illusion de rationalité logistique.
Mais l’intention réelle semble davantage économique que vertueuse. Les vêtements vendus en Inde sont affichés à 349 roupies (4 dollars), contre 3,39 dollars sur le site américain, souligne Reuters. Quant aux volumes, ils restent démesurés : 12 000 références ont déjà été proposées sur l’appli Shein India en quatre mois, soit une croissance de 120 % par mois depuis le lancement, selon Sensor Tower.
La guerre anti-Shein menée par l’Europe en ligne de mire ?
Ce mouvement industriel ne serait pas seulement motivé par la nécessité de contourner les droits de douane américains sur les colis de faible valeur. Il semble aussi anticiper les législations européennes, notamment françaises, qui visent directement les pratiques ultra-intensives de la fast-fashion.
L’Assemblée nationale française a voté une proposition de loi visant à pénaliser les marques proposant plus de 1 000 nouvelles références par jour – une pratique emblématique de Shein. Cette loi propose une amende pouvant atteindre 10 euros par article en cas de non-respect des normes environnementales et de limitation de volumes.
Mais si les vêtements sont produits hors de Chine, dans un pays comme l’Inde, et qu’ils transitent par des structures locales ou partenaires comme Reliance, Shein pourrait éviter la qualification d'importateur chinois, brouillant ainsi les pistes réglementaires. Ce changement d’origine des marchandises serait juridiquement stratégique.
Le partenariat Reliance-Shein : d’accord a modèle de production ?
En coulisse, Reliance prévoit déjà d’investir dans les fournisseurs, d’importer du matériel spécialisé, notamment pour la fabrication de fibres synthétiques, et de répliquer le modèle de Shein jusque dans ses méthodes de conception algorithmique. « Des cadres de Reliance se sont récemment rendus en Chine pour comprendre les opérations de chaîne logistique “innovantes”, les processus de design “pilotés par les données” et le marketing numérique “disruptif” de Shein », a déclaré Manish Aziz, vice-président chez Shein India, sur LinkedIn cité par Reuters.
Ce partenariat n’est pas isolé : Reliance détient déjà des licences avec des marques comme Brooks Brothers ou Marks & Spencer, et possède la plateforme Ajio, concurrent direct d’Amazon. L’intégration de Shein dans cet écosystème risque de démultiplier son rayonnement régional tout en dédouanant la marque de ses controverses initiales.
En optant pour une fabrication en Inde, Shein fait plus que délocaliser sa production : elle modifie les règles du jeu. Ce mouvement, présenté comme un tournant stratégique, ressemble surtout à une manœuvre d’évitement maquillée en expansion industrielle. L’Europe, et la France en particulier, devront vite réagir si elles veulent que leur arsenal législatif garde un semblant d’efficacité.