Nickel : à Raja Ampat, l’envers toxique des voitures électriques

Ils promettent un futur sans carbone, propre et durable. Mais derrière la façade verte des véhicules électriques, une réalité bien plus brune surgit à l’autre bout du monde. Là où le nickel est roi, les récifs coralliens suffoquent, alerte l’ONG Global Witness dans un grand reportage sur le sujet.

Anton Kunin
By Anton Kunin Published on 17 juin 2025 15h37
Nickel : à Raja Ampat, l’envers toxique des voitures électriques
© Global Witness
52%L’Indonésie détient 52% de la production mondiale de nickel.

Une biodiversité mondiale sacrifiée sur l’autel du nickel

Le 10 juin 2025, l’État indonésien a annoncé la révocation de quatre permis miniers sur l’archipel de Raja Ampat, joyau écologique classé « geoparc » par l’UNESCO en 2023. Cette décision fait suite à une mobilisation intense contre l’extension de l’extraction du nickel, minerai indispensable aux batteries de voitures électriques. Mais derrière ce geste symbolique, les excavatrices continuent de racler les collines. Et le nickel, pourtant indispensable à la transition énergétique, laisse derrière lui des plaies profondes, écologiques et humaines.

Raja Ampat, surnommée « l’Amazonie des mers », n’est pas une réserve naturelle anodine. Situé au cœur du Triangle de Corail, ce territoire maritime abrite plus de 1.500 espèces de poissons, des raies manta, des dauphins et des coraux parmi les plus anciens et diversifiés du globe. À lui seul, l’archipel représente plus de deux millions d’hectares de zones marines protégées.

Pourtant, ce sanctuaire a vu ses terres grignotées par l’appétit d’un secteur avide : celui des batteries de voitures électriques. L’expansion minière y a progressé de 500 hectares entre 2020 et 2024, soit trois fois plus vite qu’au cours des cinq années précédentes, selon les données de l’ONG Auriga Nusantara.

À qui profite vraiment ce nickel ?

Le nickel extrait à Raja Ampat, comme celui d'autres îles indonésiennes, alimente les chaînes d'approvisionnement de géants industriels tels que Ford, Volkswagen ou Tesla. L’Indonésie, qui détient 52% de la production mondiale de nickel en 2023, s’est hissée au rang de superpuissance minière, en interdisant l’exportation de minerai brut et en incitant à la construction de fonderies locales – bien souvent alimentées par du charbon.

Alors, pour qui roule cette transition énergétique ? « Ce n’est pas une révolution verte, c’est un nouveau charbon », dénonce un militant local cité par l'ONG Global Witness, critiquant un modèle qui pollue, exproprie et contamine pour nourrir une demande occidentale toujours plus vorace.

Des îles violées, des lois bafouées

La législation indonésienne, notamment la loi n°27 de 2007, interdit pourtant l’exploitation minière sur les îles de moins de 2.000 km². Raja Ampat, constitué d’îlots parfois minuscules, devrait donc être protégé. Et pourtant, des entreprises comme PT Kawei Sejahtera Mining ou PT Gag Nikel ont continué à opérer. Des concessions couvrant jusqu’à 13.000 hectares – soit plus que la surface des îles elles-mêmes – ont été octroyées, parfois sans consultation des communautés autochtones. Les témoignages recueillis révèlent des pratiques opaques : réunions à huis clos, décisions prises sans consentement éclairé et intimidation par la police. Un véritable déni du principe de consentement libre, préalable et informé reconnu par l’ONU.

Extraction Nickel Raja Ampat Global Witness

Des impacts irréversibles sur un écosystème fragile

Le nickel indonésien, de type latéritique, exige une méthode brutale : le « strip mining », ou exploitation à ciel ouvert. Résultat ? Déforestation, ruissellements chargés de sédiments étouffant les coraux, mangroves rasées, nappes phréatiques polluées. « Quand on gratte une mine de nickel, le système saigne », alerte le biologiste marin Dr. Phillip Dustan cité par Global Witness. Les coraux, déjà fragilisés par le réchauffement climatique, ne résistent pas à cette double peine.

Et le tourisme, autre pilier de l’économie locale, s’effondre. Les « homestays », ces hébergements traditionnels tenus par les familles papoues, souffrent de la disparition des poissons et du bruit assourdissant des barges. « Leshomestays sont notre façon de défendre notre terre », déclare l’association locale de tourisme. Mais face à la logique industrielle, les voix des pêcheurs résonnent dans le vide.

Une fausse transition écologique sous perfusion de charbon

Les fonderies construites pour traiter le nickel, telles que celle de Sorong, sont souvent adossées à des centrales à charbon. La transition « verte » indonésienne se fait donc au prix d’un bond en avant des émissions carbone, contredisant les objectifs climatiques. Le nickel raffiné alimente pourtant une industrie électrique mondialisée se réclamant « propre ». Un paradoxe ? Plutôt une hypocrisie à ciel ouvert. Le slogan affiché sur les T-shirts de certains militants résume le malaise : « Votre véhicule électrique nous tue ».

Malgré les promesses de création d’emplois et les communiqués optimistes, l’amertume persiste. À Gag, à Kawe, à Manyaifun, les femmes racontent les cocotiers abattus, les mangroves transformées en boue, les poissons qui ne reviennent plus. Raja Ampat ne réclame ni voitures électriques, ni mégafonderies. Ses habitants demandent simplement que leur territoire reste vivable. La transition énergétique mondiale, si elle veut être légitime, devra répondre à une question essentielle : peut-elle s’accomplir sans broyer ceux qui ne conduisent pas ? Le nickel de nos batteries vaut-il le prix d’un récif millénaire ?

Anton Kunin

Après son Master de journalisme, Anton Kunin a rejoint l'équipe d'ÉconomieMatin, où il écrit sur des sujets liés à la consommation, la banque, l'immobilier, l'e-commerce et les transports.

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