Faut-il dire adieu aux billets en papier ? Alors que les paiements numériques s’imposent peu à peu dans les usages, un projet d’envergure refait surface à Bruxelles et Francfort concernant la monétisation de l’Euro. Sous des dehors techniques, il bouscule des enjeux bien plus profonds qu’il n’y paraît.
Euro numérique : 2027 ou jamais ?

La Banque centrale européenne (BCE) avait donné le 18 octobre 2023 le coup d’envoi d’une phase préparatoire de deux ans pour tester, définir et expérimenter un euro numérique. Cette monnaie complémentaire aux espèces, sous format électronique, pourrait être déployée à partir de 2027 ou 2028, mais à condition qu’un cadre législatif européen soit d’abord adopté. En attendant, le débat s’intensifie, alimenté par des fantasmes, des oppositions virulentes, mais aussi par de véritables enjeux de souveraineté pour l’Europe.
Un euro numérique pour préserver la souveraineté de l’Europe
Dès le lancement du projet en 2021, l’objectif affiché par l’Eurosystème – qui regroupe la BCE et les banques centrales nationales – était clair : assurer la continuité de la monnaie publique à l’ère numérique. « Cette dépendance expose l'Europe à des risques de pression économique et de coercition », déclarait Philip Lane, chef économiste de la BCE, dans un article de BFMTV daté du 26 mars 2025.
Dans un contexte où les moyens de paiement sont dominés par Visa, Mastercard, Apple Pay et PayPal – 13 des 20 pays de la zone euro dépendent totalement de ces acteurs étrangers pour leurs paiements intérieurs, selon La Tribune (26 mars 2025) – la perspective d’un euro numérique émis par la BCE incarne une tentative de reprise de contrôle. Contrairement aux cryptomonnaies, il serait centralisé, garanti par une institution publique, et encadré par des règles précises.
Mais pour que cette monnaie voie le jour, il faut d’abord franchir plusieurs étapes techniques et politiques. Une proposition de règlement a été déposée par la Commission européenne le 28 juin 2023. Elle devra être adoptée par le Conseil de l’UE et le Parlement pour permettre à la BCE de poursuivre la phase de mise en œuvre. Or, comme l’a rappelé Christine Lagarde en mars 2025 : « Nous ne serons pas en mesure de progresser si [...] la Commission, le Conseil et le Parlement ne concluent pas leur processus législatif » (La Tribune).
Entre fantasmes de contrôle et réalité technique : distinguer le vrai du faux
Depuis plusieurs mois, le projet fait l’objet d’une campagne de désinformation massive, notamment sur les réseaux sociaux. Des figures politiques, relayent l’idée que « votre argent ne vous appartiendra plus » une fois l’euro numérique instauré (selon BFMTV). Une formule choc, mais qui ne repose sur aucune base réglementaire.
La BCE a été formelle à plusieurs reprises : l’euro numérique ne remplacera pas l’argent liquide. Selon son site officiel, il s’agira d’un moyen de paiement supplémentaire, accessible à tous, utilisable en ligne comme hors ligne, gratuit pour les particuliers, et plafonné pour éviter toute déstabilisation des dépôts bancaires.
De nombreuses craintes reposent aussi sur des idées fausses. L’argent serait « périssable » ou « programmable » ? Faux, réplique la BCE, toujours dans La Tribune : « Un euro numérique pourra être utilisé sans contrainte, et il conservera toujours sa valeur ». Il ne sera pas possible pour les autorités de bloquer son usage à distance, comme on le ferait pour un bon d’achat.
Même la confidentialité a été prise en compte. Les autorités européennes affirment que des solutions sont en cours d’expérimentation pour que l’euro numérique offre un niveau de vie privée au moins équivalent à celui des paiements par carte, voire supérieur (comme le précise le ministère de l’Économie, fiche CEDEF, 30 avril 2025).
Un chantier encore incertain, mais au potentiel immense
Aujourd’hui, le projet n’a pas encore franchi le cap de la décision politique finale. L’échéance d’octobre 2025 marquera la fin de la phase préparatoire, qui a succédé à deux années d’étude (2021–2023). D’ici là, les équipes de la BCE testent les infrastructures, consultent les parties prenantes et définissent les règles techniques d’usage.
Mais attention : aucune garantie n’est donnée sur le lancement définitif de l’euro numérique. Son existence future dépendra non seulement d’un cadre juridique européen, mais aussi de l’adhésion des citoyens. « Le gros problème, si l'on n’a pas l’adhésion du public, c’est que l’euro numérique pourrait échouer », avertissait Vicky Van Eyck de l’ONG Positive Money Europe (sur BFMTV le 26 mars 2025).
Les chiffres sont parlants : en 2022, seuls 18 % des Européens avaient entendu parler de l’euro numérique. Ce chiffre est monté à 40 % en 2024, mais moins de la moitié des citoyens interrogés se disaient prêts à l’utiliser (toujours selon BFMTV). Le déficit de pédagogie, combiné à une défiance croissante vis-à-vis des institutions, pourrait bien constituer le principal frein à l’ambition numérique de la BCE.