Épargne réglementée : le grand gâchis au détriment des Français modestes

Le 14 mai 2025, un rapport parlementaire a été présenté à la Commission des finances de l’Assemblée nationale, exigeant une réforme urgente de l’épargne réglementée. Dans un contexte où l’érosion monétaire pèse lourdement sur le pouvoir d’achat des Français, le document met en lumière les limites criantes des dispositifs actuels, tels que le Livret A ou le Livret d’épargne populaire (LEP), et propose de repenser en profondeur leur fonctionnement.

Anton Kunin
By Anton Kunin Published on 15 mai 2025 6h08
Épargne réglementée : le grand gâchis au détriment des Français modestes
Épargne réglementée : le grand gâchis au détriment des Français modestes - © Economie Matin
300 milliards d’eurosEntre 2020 et 2023, les Français auraient perdu jusqu’à 300 milliards d’euros de pouvoir d’achat en plaçant leurs économies sur des livres d'épargne réglementée.

Un maquis de livrets, une jungle pour l’épargnant

L’épargne réglementée, ce filet de sécurité jadis plébiscité, est aujourd’hui comparée à un « maquis de livrets » par le député Horizons François Jolivet. Lors de son audition à la Commission des finances de l’Assemblée nationale le 14 mai 2025, il déclarait : « L’épargne réglementée est utile, mais nous pensons qu’il faut la réformer dans un sens de plus de clarté, d’efficacité et d’efficience en termes de rendement ».

Sous cette forêt touffue de produits d’épargne — du Livret A au livret d’épargne d’entreprise — l’usager peine à s’y retrouver, d’autant plus que les banques, censées les guider, brillent par leur désinvolture. Jean-Philippe Tanguy, député Rassemblement national, pointe du doigt un véritable « problème de contrat moral entre les épargnants français […] et la puissance publique ».

Quand les banques ferment les yeux… et les poches

Les députés dénoncent l’inaction, voire la complicité des banques. François Jolivet l’affirme sans détour : « Les banques jouent un rôle de conseil pas complètement performant, puisqu’elles ne dirigent pas l’épargne des Français les plus modestes vers les meilleurs placements réglementaires ».

Illustration frappante : malgré sa meilleure rémunération (5%, contre 3% pour le Livret A au 1er février 2025), le LEP reste déserté par 40% des épargnants éligibles. Un manque de conseil, ou une stratégie délibérée pour détourner les clients vers des placements moins avantageux pour eux mais plus profitables pour les établissements ? La question reste en suspens.

La Fédération bancaire française se défend, en déclarant : « Les banques veillent à ce que les placements qu’elles recommandent ne le soient que dans l’intérêt du client […], c’est le droit ». Mais cette posture défensive n’efface ni l’opacité des produits, ni les pertes subies.

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Une épargne qui ronge le pouvoir d’achat

Entre 2020 et 2023, les Français auraient perdu jusqu’à 300 milliards d’euros de pouvoir d’achat. En cause ? L’inflation galopante et des taux d’intérêt qui n’en protègent plus les dépôts. « Quand vous ouvrez un Livret A, l’érosion monétaire est certaine […] la formule de calcul de l’intérêt ne protège plus de l’inflation », explique Jean-Philippe Tanguy.

Cette désillusion touche d’abord les classes populaires, qui pensent, souvent à tort, que leur épargne est protégée. « Protégée en nominal, elle ne l’est pas face à l’érosion monétaire », poursuit-il. La naïveté des épargnants est ainsi exploitée par un système qui semble conçu pour maintenir l’illusion de la sécurité tout en dilapidant leur épargne réelle.
Vers une réforme systémique de l’épargne réglementée

Le rapport parlementaire ne se contente pas d’un constat accablant : il propose une refonte en profondeur. Parmi les pistes avancées figurent :

- la simplification de la formule de calcul des taux d’intérêt pour plus de lisibilité et de protection contre l’inflation ;
- la réduction des commissions bancaires sur la collecte, afin d’augmenter la part réellement reversée à l’épargnant ;
- une meilleure publicité des placements comme le LEP auprès des clients éligibles.

Un abaissement du niveau de centralisation des fonds collectés, au profit d’une plus grande diversification des emplois — vers les PME, l’économie sociale et solidaire ou encore la Banque publique d’investissement.

Ces réformes visent aussi à orienter les ressources vers des secteurs stratégiques tels que le logement social, tout en maintenant l’attractivité de produits qui se veulent sans risque et non fiscalisés.

L’épargne réglementée, une exception française en danger ?

La France peut encore se targuer d’une épargne réglementée aux caractéristiques uniques : « des produits liquides, garantis, non fiscalisés et avec un rendement positif déterminé par les autorités publiques », comme le rappelle la Fédération bancaire française. Mais cette architecture vertueuse est en péril si l’information reste tronquée, les taux figés et les banques désengagées.

Réformer l’épargne réglementée, ce n’est pas trahir un héritage : c’est le sauver. À condition que les nouvelles mesures soient suivies d’effets, et que les intérêts des épargnants — en particulier les plus modestes — ne soient plus sacrifiés sur l’autel d’une rentabilité bancaire ou d’une inertie bureaucratique. Car ce qui se joue ici, c’est moins le taux d’un livret que la confiance des Français envers leur État et leur système bancaire.

Anton Kunin

Après son Master de journalisme, Anton Kunin a rejoint l'équipe d'ÉconomieMatin, où il écrit sur des sujets liés à la consommation, la banque, l'immobilier, l'e-commerce et les transports.

1 comment on «Épargne réglementée : le grand gâchis au détriment des Français modestes»

  • Christian PIRE

    Monsieur, faisant partie du monde des acteurs de la finance (ancien président d’une société de gestion de portefeuilles en Bourse), et ayant écrit plusieurs articles parus sur votre site, ce n’est pas la naïveté des épargnants qui est exploitée, mais bien les épargnants non avertis (notion juridique) qui sont volontairement victimes de désinformations. Désinformations menant peu ou prou, selon les cas, aux faits juridiques de perte de chance, abus de confiance et escroquerie des épargnants non avertis. S’il est évident que les Français doivent faire confiance dans l’Etat, il est tout à fait aussi évident qu’ils ne peuvent plus systématiquement faire confiance dans les acteurs commerciaux financiers actuels diplômés ou non, cela toutes images commerciales confondues. Les faits juridiques évoqués ci-dessus sont bien volontaires. Souvenez-vous, il y a déjà plus de dix ans : Dans « http://www.trends.be » du 26 janvier 2012 André Orléan qui est au Comité scientifique de l’Autorité des Marchés Financiers Article intitulé : Et si les marchés financiers avaient tort ? « Les prix sur lesquels reposent les marchés financiers sont tronqués, pour ne pas dire totalement faux ! » Voir mes précédents articles parus dans Economie matin.

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