Nucléaire : six nouveaux réacteurs, un pari (repoussé) à 80 milliards

Au moment où l’énergie revient sur le devant de la scène politique et industrielle, un dossier longtemps enfoui dans les tréfonds technocratiques refait surface avec fracas. Le gouvernement, entre injonctions climatiques et impératifs de souveraineté, vient d’appuyer sur le bouton rouge de la relance de l’énergie atomique.

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 11 juin 2025 7h30
La Belgique renonce officiellement à sortir du nucléaire
La centrale nucléaire de Doel, près d’Anvers, en Belgique, @Shutterstock - © Economie Matin
86,9%Le nucléaire représente 86,9 % de la production d'électricité d'EDF

Le 10 juin 2025, l’exécutif français a acté une étape clé dans la relance du nucléaire. En signant le contrat stratégique de la filière pour la période 2025-2028, le gouvernement concrétise une ambition formulée dès février 2022 par Emmanuel Macron : reconstruire une filière nucléaire robuste, compétitive et alignée sur les objectifs de transition énergétique. À travers ce contrat, l’État engage la France dans une trajectoire de production électrique massivement décarbonée, centrée sur le développement du programme EPR2.

Un tournant stratégique pour le nucléaire en France

C’est à Massy (Essonne), lors des « Journées Perspectives » de la filière, que Marc Ferracci, ministre de l’Industrie et de l’Énergie, a déclaré : « Il y a une ambition de se projeter dans les prochaines décennies » avant d’ajouter que cette relance devait « maîtriser les coûts » et « maîtriser les délais ». Il n’était pas seul. À ses côtés, Éric Lombard, ministre de l’Économie, a rappelé que le nucléaire constituait « un élément de compétitivité de notre industrie pour les décennies qui viennent », relaye Le Figaro.

Ce contrat stratégique s’inscrit dans la droite ligne du discours de Belfort du 10 février 2022, où le président de la République avait annoncé la construction de six nouveaux réacteurs, avec une option pour huit supplémentaires. L’objectif ? Reprendre la main sur la production d’électricité bas carbone, après une décennie marquée par l’hésitation, la fermeture de Fessenheim, et un alignement de la politique énergétique sur la décroissance nucléaire.

Nucléaire : un contrat, quatre axes et une facture à 80 milliards

Le document signé le 10 juin 2025 décline la relance nucléaire autour de quatre piliers interdépendants : performance industrielle, compétences, innovation, et durabilité.

D’un point de vue industriel, il s’agit d’atteindre une « excellence opérationnelle » en renforçant la coopération entre les grands acteurs (EDF, Orano, TechnicAtome), d’optimiser les délais et d’élever les standards de sûreté. Xavier Ursat, président du Comité stratégique de la filière nucléaire, insiste dans le contrat sur « une grande responsabilité collective pour les années à venir » et sur la nécessité de travailler sur « la performance industrielle, l’excellence opérationnelle et l’innovation », relaye la Sfen.

Côté compétences, le constat est brutal : la filière nucléaire aura besoin de 100 000 recrutements équivalent temps plein sur les dix prochaines années. Avec 220 000 salariés actuels, c’est un renouvellement massif qui s’annonce. L’attractivité des métiers du nucléaire, leur féminisation (24 % de femmes dans la filière contre 30 % en moyenne dans l’industrie), et la formation sont au cœur des engagements.

Sur le front de l’innovation, le contrat prévoit des investissements accrus dans les réacteurs modulaires de petite taille (SMR) ainsi que dans les usages non-électrogènes du nucléaire, tels que la production de chaleur industrielle ou d’hydrogène. Enfin, la dimension écologique n’est pas oubliée : décarbonation, adaptation au changement climatique, sobriété énergétique et économie circulaire s’inscrivent dans les objectifs du contrat, notamment via une gestion plus rigoureuse des déchets.

Le programme EPR2 : six réacteurs, près de 80 milliards d’euros, et une échéance reculée

Le cœur du plan repose sur la relance du programme EPR2, avec la construction de six nouveaux réacteurs à grande puissance. Une première paire est prévue à Penly (Seine-Maritime), suivie de deux unités à Gravelines (Nord) et deux autres au Bugey (Ain). Initialement annoncée pour 2035, la mise en service du premier réacteur a été repoussée à 2038 afin de réduire les risques de retards, relate Le Figaro.

Côté budget, la Cour des comptes a revu les estimations à la hausse :

  • 51,7 milliards d’euros (conditions 2020) ;
  • 67,4 milliards (révision 2022) ;
  • et 79,9 milliards d’euros selon les conditions économiques de 2023.

Le financement ne repose pas uniquement sur EDF. L’État s’est engagé à couvrir au moins 50 % du coût via un prêt à taux bonifié. Par ailleurs, un mécanisme de prix garanti du mégawattheure à 100 euros devrait sécuriser la rentabilité du projet. En clair, si le prix de marché dépasse ce seuil, EDF reverse une part à l’État ; s’il est inférieur, c’est l’État qui compense.

Pour soutenir les sous-traitants et les PME stratégiques, EDF, avec Framatome, Orano, TechnicAtome et Siparex, a lancé le Fonds France Nucléaire 2 (FFN2). Ce fonds, dont le premier closing a atteint 100 millions d’euros, vise une enveloppe cible de 300 millions d’euros. Il doit permettre de financer des entreprises innovantes comme Ekoscan Integrity Group, spécialisée dans le contrôle non destructif, avec des tickets allant jusqu’à 50 millions d’euros.

Des promesses à la réalité : la Commission européenne attend la note

Malgré le ton martial du gouvernement, plusieurs incertitudes demeurent. Le plan complet doit encore être présenté à la Commission européenne pour validation du dispositif de financement. Les arbitrages sur la future Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) seront également déterminants : c’est elle qui fixera le cap législatif à moyen terme, notamment sur l'intégration de ces investissements massifs dans la planification énergétique française.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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