Souveraineté bradée : comment Sanofi a vendu le Doliprane, le médicament préféré des Français

Le marché pharmaceutique français vient de subir un électrochoc dont les secousses pourraient se faire sentir bien au-delà des officines. Une transaction colossale, des promesses d’ancrage local, et un parfum de scandale latent : l’avenir d’un médicament emblématique soulève des doutes, des colères… et beaucoup d’euros.

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 2 mai 2025 7h00
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doliprane-sanofi-vente-opella-argent-souverainete-industrie - © Economie Matin
100 MILLIONS €Sanofi touche près de 100 millions d'euros par an de Crédit impôt recherche.

Le 30 avril 2025, Sanofi, mastodonte de l’industrie pharmaceutique, a officialisé la cession de 50 % de sa filiale Opella, qui fabrique notamment le doliprane, au fonds américain Clayton, Dubilier & Rice (CD&R). Une transaction qui interroge sur la souveraineté industrielle, l’emploi, et le rôle de l’État dans les affaires de santé.

Le doliprane sous pavillon américain : une vente au prix fort

L’annonce est tombée avec la régularité d’un couperet : Sanofi a empoché 10 milliards d’euros nets pour céder 50 % du capital de sa filiale Opella, productrice du Doliprane. La nouvelle entité, bien que présentée comme "un leader mondial indépendant de la santé grand public" par Sanofi dans son communiqué du 30 avril 2025, est désormais pilotée à parts égales par le géant français et le fonds d’investissement CD&R. Le reste des parts, 1,8 %, a été confié à Bpifrance, le bras armé de l’État, censé « garantir la souveraineté ».

Une opération qui, en surface, sent bon la maîtrise concertée. Mais qui contrôle vraiment le doliprane aujourd’hui ? Le fond américain, bien sûr. La manœuvre de Sanofi ressemble davantage à une cure de liquidités qu’à une stratégie sanitaire. Et si la société mère conserve 48,2 % d’Opella, ce n’est ni pour en faire un rempart patriotique ni pour préserver un quelconque équilibre industriel, mais bien pour rassurer les marchés.

Sanofi : l’État à la rescousse après des années d’aides publiques

Et l’État, justement ? Il n’a pas tardé à mettre le holà, du moins sur le papier. Le ministère de l’Économie s’est empressé de préciser que des clauses de pénalités ont été négociées : 40 millions d’euros en cas de fermeture de site, 100 000 euros par emploi supprimé. Une rustine législative, censée calmer les angoisses sociales.

Mais un chiffre vient obscurcir ces garanties : plus de 100 millions d’euros par an, c’est le montant moyen que Sanofi reçoit au titre du Crédit impôt recherche. Ajoutez à cela 17,7 millions d’euros de mécénat et autres crédits d’impôt, 7,4 millions d’exonérations sociales et 12,2 millions pour l’apprentissage, et l’on comprend mieux la colère des sénateurs.

Lors de son audition au Sénat, Charles Wolf, directeur France de Sanofi, a tenté de minimiser : « Ces aides sont extrêmement utiles pour la compétitivité, sans ces aides le chercheur français serait le deuxième le plus cher au monde. » Une justification économique ? Ou une confession d’impuissance stratégique ? Dans tous les cas, cela n’a pas suffi à éteindre la fureur du rapporteur Fabien Gay : « Pour ma part, je suis révolté. »

Le doliprane : symbole d’une souveraineté monnayée

Avec 300 millions de boîtes vendues par an, le doliprane est de loin le médicament le plus prescrit en France. Il surclasse tous ses concurrents. Ce chiffre, issu de l’Assurance maladie, date de fin 2024. Aucun autre traitement ne dépasse le seuil des 100 millions.

Et pourtant, ce joyau industriel, au potentiel stable et immense, n’est plus français. Que s’est-il passé ? Comment en arrive-t-on à céder une telle colonne vertébrale du système de santé à un acteur financier international ? Julie Van Ongevalle, PDG d’Opella, a tenté de rassurer lors de l’assemblée du 30 avril : « Doliprane restera en France pour les Français. »

Mais ces propos, aussi apaisants soient-ils, résonnent comme une déclaration d’intention. À Lisieux, où l’un des sites de production emploie 260 salariés, les syndicats sont en alerte. Des grèves ont eu lieu tout au long de 2024, preuve que les promesses ne suffisent plus. Et si un site ferme ? Que valent alors les 40 millions d’euros de pénalités ? Peu face à la perte d’un outil industriel.

Sanofi se recentre, Opella s’exile, et la France assiste

Paul Hudson, directeur général de Sanofi, l’a dit sans détour : « Sanofi devient un pure player biopharmaceutique. » Autrement dit, on laisse tomber les médicaments sans ordonnance comme le doliprane, et on fonce vers les vaccins à ARN et les traitements oncologiques. Très bien. Mais qui garantira demain l’accessibilité des produits essentiels du quotidien, si leur production échappe au contrôle national ?

La question est d’autant plus brûlante que Sanofi, malgré ses engagements à ne pas "délocaliser", n’a cessé de réduire ses effectifs en France depuis 2014. Entre 1000 et 3500 postes supprimés selon les estimations, et ce malgré les milliards publics injectés.

Le doliprane ne parle plus qu’à moitié français. Son destin, suspendu entre les décisions de CD&R et les engagements fragiles d’un État minoritaire, reste incertain. L’histoire de ce médicament n’est plus seulement une affaire de santé publique : c’est un cas d’école de désengagement industriel, un exemple brut de la manière dont la souveraineté pharmaceutique peut être liquidée — au prix fort — sur l’autel du rendement.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

1 comment on «Souveraineté bradée : comment Sanofi a vendu le Doliprane, le médicament préféré des Français»

  • FIFRO

    Ça y est, Le Doliprane, médicament le plus prescrit en France, est passé officiellement sous pavillon américain, avec la finalisation fin avril de la cession par Sanofi au fonds d’investissement CD & R du contrôle de l’entreprise qui produit la célèbre boîte jaune.
    Sanofi cède 50 % de sa filiale Opella, qui produit notamment le Doliprane, au fonds américain CD & R, tout en conservant une participation de 48,2 % dans cette entreprise commercialisant des médicaments sans ordonnance, des vitamines, minéraux et compléments alimentaires.
    La vente du doliprane à un fonds américain a été un psychodrame qui a chauffé les esprits à l’automne. on s’est excité vraiment à mon avis pour pas grand-chose. le Doliprane est un produit très banal et plein d’équivalent.
    Plutôt que s’inquiéter à propos d’une molécule développée depuis une centaine d’année, passée dans le domaine public, et qui ne coute rien à fabriquer, on devrait s’intéresser plutôt aux molécules essentielles de demain, c’est là un vrai challenge à défendre en même temps qu’un levier de souveraineté si on veut retrouver une place honorable dans la recherche médicale au niveau mondial.
    Est-ce que l’on ne s’exciterait pas pour peu de chose ?
    Le doliprane est fabriqué en France et il y a peu de risque de délocalisation et la consommation de doliprane est principalement en Europe et surtout en France. En France les prescriptions de médicaments se faisant quasi essentiellement sous le nom de la molécule chimique (DCI = Dénomination Commune Internationale), la délivrance de paracétamol est souvent effectuée par un des nombreux équivalents du Doliprane (une vingtaine au total).
    la bronca autour du Doliprane est incompréhensible alors que l’opération en question est pour Sanofi une occasion de dégager des moyens afin d’investir massivement précisément dans les médicaments innovants.
    Tout ceci est d’autant plus aberrant que le doliprane longtemps en accès libre, est à l’origine d’utilisations inconsidérées et de surdosage à l’origine d’intoxications et de pathologies hépatiques.
    Au niveau national, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a indiqué avoir été informée, l’année dernière, de 65 surdosages au paracétamol – dont 54 graves par le réseau de pharmacovigilance.
    le paracétamol est commercialisé sous de nombreux noms, donc les gens ne savent pas forcément qu’il s’agit du même principe actif à chaque fois.

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