Dérives judiciaires en RDC, le symbole d’un Etat fragile ?

Le 17 avril 2025, le gouvernement de RDC a adopté un projet de loi créant un Tribunal Pénal Économique et Financier, placé sous l’autorité directe du ministre de la Justice et présenté comme une étape décisive dans la lutte contre la corruption. Nouvelle donne ou simple effet d’annonce ?

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By Rédacteur Published on 2 juin 2025 14h53
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Moins d’un mois après l’adoption du projet de loi, le député Willy Mishiki saisit publiquement la Première ministre à propos d’un projet de prison à Kisangani entaché de lourds soupçons. Près de 20 millions de dollars auraient été versés à une société privée sans validation officielle, selon une note de la Cellule nationale des renseignements financiers. Tandis que le ministre Constant Mutamba évoque un placement sous séquestre, les critiques dénoncent une attribution opaque et l'opacité d’un marché attribué à une entreprise récemment créée. Dans le même temps, c'est tout le système judiciaire congolais qui s’effondre, menaçant la pérennité de ce qui reste de l’Etat.

Un déclin endémique

Levée du moratoire sur la peine de mort, procès à caractère politique, procédures expéditives, menaces contre les minorités, dont LGBT : l’institution judiciaire congolaise se mue peu à peu en outil de répression, symptôme d’un État en perte d’équilibre. La corruption judiciaire en RDC ne relève plus de la marge : elle s’est installée au cœur du fonctionnement institutionnel, au point d’en devenir un pilier invisible. L’ampleur du phénomène a éclaté au grand jour à l’occasion de la bancarisation forcée des frais de justice annoncée par le ministre Constant Mutamba en août 2024.

Pendant des années, les revenus générés par près de 240 actes judiciaires – amendes, cautions, certificats – ont été partiellement détournés par des magistrats, greffiers ou policiers. Quelques mois auparavant, un rapport conjoint de la Cour des comptes et de l’ONG Le Congo n’est pas à vendre évaluait déjà les pertes à près de 9 millions de dollars par an, rien qu’à Kinshasa. En réponse, une quinzaine de greffiers ont été poursuivis pour falsification de documents bancaires, usage de faux sceaux et détournements massifs. Cette opération peine à convaincre : dans un contexte de précarité salariale chronique et d’absence de mécanismes de contrôle, la corruption apparaît moins comme une déviance que comme un mode de survie.

Le climat s’est rapidement tendu entre le ministre de la Justice et les magistrats du Synamac, qui dénoncent un discours populiste visant à faire porter aux seuls agents judiciaires la responsabilité d’un effondrement structurel. Constant Mutamba, lui, multiplie les gestes symboliques – commission nationale d’enquête, consultations populaires – que le syndicat juge creux et unilatéraux, dans un communiqué officiel du 15 août 2024.

Le règne de l’arbitraire

Depuis 2023, les procédures à connotation politique se multiplient dans une logique évidente de neutralisation des opposants. En mars 2025, l’état-major du PPRD, parti de l’ancien président Joseph Kabila, a été convoqué sans motif par la justice militaire, sur fond d’accusations de soutien au M23. Depuis, une commission spéciale du Sénat s’est saisie du dossier de Kabila lui-même, désormais visé par une procédure de levée d’immunité pour trahison et participation à un mouvement insurrectionnel. Les autorités assurent qu’il s’agit d’un processus judiciaire normal, mais l’opposition y voit une manœuvre politique de plus dans un contexte de tensions croissantes. Dans le même temps, le procureur général requiert vingt ans de prison contre l’ancien Premier ministre Matata Ponyo, figure de l’opposition, à l’issue d’un procès entaché d’irrégularités : juges hors mandat, immunité parlementaire ignorée. Le même mois, la ferme de l’opposant Moïse Katumbi était investie par des militaires sans mandat : un acte dénoncé comme une opération d’intimidation en représailles à son refus d’entrer dans un gouvernement d’union nationale.

Ces affaires mettent à nu l’effondrement de l’indépendance judiciaire. Même les magistrats sont désormais sous pression. Les États généraux de la justice, organisés en novembre 2024 à Kinshasa, ont été ainsi vivement critiqués par le Synamac : exclusion du Conseil supérieur de la magistrature, participants sélectionnés, thématiques verrouillées, etc.

L’inquiétude du syndicat résonne avec le projet de révision constitutionnelle annoncé en octobre 2024 à Kisangani. Présentée comme une modernisation institutionnelle, l’initiative est perçue par l’opposition, l’Église catholique et la société civile comme une tentative à peine voilée de contourner l’article 220, qui interdit toute modification des règles relatives à la limitation des mandats présidentiels. L’allocution présidentielle dénonçant une Constitution « rédigée à l’étranger » et les appels, dans l’entourage du pouvoir, à étendre la durée du mandat de cinq à sept ans ont nourri les soupçons d’une réforme taillée pour verrouiller durablement le pouvoir.

Une surenchère répressive

Le 15 mars 2024, la RDC a levé son moratoire sur la peine de mort, mettant fin à deux décennies de trêve judiciaire. Depuis, les condamnations capitales se sont multipliées, souvent prononcées par des tribunaux militaires à l’issue de procès expéditifs. En août, 26 membres du M23 ont été condamnés à mort pour trahison ; en décembre, la même peine a été confirmée en appel contre cinq membres du mouvement politico-militaire AFC, affilié à Corneille Nangaa. Mais cette vague répressive ne se limite plus aux affaires de guerre : en janvier 2025, plus de 170 jeunes, accusés d’appartenir à des gangs urbains, ont été transférés en masse vers la prison d’Angenga, dans l’attente d’une exécution annoncée, dans des conditions dénoncées comme inhumaines.

Dans une logique de surenchère sécuritaire, le ministre de la Justice, Constant Mutamba, a annoncé en février 2025 des primes exceptionnelles pour la capture “mort ou vif” des chefs du M23 et du président rwandais Paul Kagame. Une politique far-west qui écorne gravement la crédibilité internationale du système judiciaire congolais.

Amnesty International a lancé l’alerte face au risque croissant d’exécutions massives sans garanties judiciaires. L’octroi in extremis de la grâce présidentielle à trois ressortissants américains condamnés à mort en avril 2025 a mis en lumière une application sélective de la peine capitale, au gré des rapports de force diplomatiques, notamment dans le contexte tendu avec Kigali et des négociations minières en cours avec Washington. Dans un climat déjà lourd, la stigmatisation croissante des minorités accentue encore les dérives. En juin 2024, Constant Mutamba assimilait publiquement la communauté LGBTQ+ à une “menace existentielle” pour la nation, confirmant un basculement vers une justice identitaire, homophobe et répressive. Combiné avec la faillite de l’administration, la quasi-absence de services publics, c’est bel est bien la faillite totale de l’Etat congolais qu’illustre cette crise de la justice. Et pendant que la classe politique de Kinsasha continue de s’enrichir, c’est bel et bien les congolais qui se retrouvent livrés à eux-mêmes dans un climat de prédation généralisé.

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