Chaque jour, le téléphone sonne. Une voix inconnue tente de vendre un contrat, un service, une isolation à un euro ou une formation bidon. À l’autre bout, l’agacement monte. Mais un basculement est en marche. Une lame de fond juridique s’apprête à balayer ces pratiques de démarchage téléphonique. Reste à voir si la vague atteindra vraiment la côte.
Démarchage téléphonique : la fin (enfin) programmée du harcèlement
Le 21 mai 2025 marque un tournant pour les usagers du téléphone en France. Ce jour-là, le Sénat examine une proposition de loi qui ambitionne de mettre un terme au démarchage, ce fléau quotidien qui transforme les téléphones portables en pièges sonores. Une révolution législative attendue depuis des années par des millions de consommateurs excédés.
Un démarchage sans consentement : vers une extinction légale
Depuis des années, les appels commerciaux s’immiscent dans la vie privée sous couvert de légalité douteuse. La proposition de loi portée par le sénateur Pierre-Jean Verzelen inverse enfin cette logique insidieuse : désormais, « aucun appel commercial ne pourra avoir lieu sans un consentement libre, spécifique, éclairé, univoque et révocable ».
Autrement dit : fini le « qui ne dit mot consent », place à l’opt-in pur et dur. Un silence ne sera plus jamais une autorisation. Cette mesure, votée en première lecture par l’Assemblée nationale le 6 mars 2025, est soutenue par le gouvernement, qui a enclenché la procédure accélérée. Le texte sera adopté définitivement dans les prochaines semaines, avant une entrée en vigueur prévue le 11 août 2026 – date symbolique qui coïncide avec la fin du contrat public passé avec Bloctel.
Démarchage téléphonique : une pratique encadrée, mais rarement respectée
En théorie, tout semblait déjà en place. La loi encadre les horaires d’appel, interdit l’usage de numéros masqués ou commençant par 06 ou 07, impose l’identification de l’appelant. Le consommateur peut s’inscrire sur Bloctel pour s’opposer au démarchage. Mais en pratique ? Seuls 9 % des Français ont franchi le pas. Et les appels continuent de pleuvoir, souvent depuis l’étranger, échappant à toute régulation.
Même les interdictions sectorielles – comme pour la rénovation énergétique ou le CPF – sont contournées. Les appels frauduleux s’infiltrent par tous les canaux, y compris les réseaux sociaux, les SMS ou les e-mails. C’est cette passoire légale que le nouveau texte entend colmater. Il élargit l’interdiction de la prospection aux secteurs sensibles, comme l’adaptation des logements au vieillissement.
Une loi ambitieuse… trop belle pour être appliquée ?
Le texte ne manque pas de mordant. Il prévoit jusqu’à 375 000 euros d’amende pour une entreprise contrevenante, et jusqu’à 500 000 euros et cinq ans de prison en cas d’abus de faiblesse. Même les donneurs d’ordre étrangers seront dans le viseur. « Ce sont les donneurs d’ordre qu’il faut poursuivre », martèle Pierre-Jean Verzelen. L’idée : ne pas se contenter de taper sur les sous-traitants.
Mais derrière l’arsenal juridique, des critiques fusent. La traçabilité du consentement pose problème. Comment prouver qu’un consommateur a effectivement accepté d’être contacté ? L’avocate Hélène Lebon pointe le flou : « il est très difficile de remonter jusqu’à l’origine du consentement ». D’autres dénoncent un effet placebo : un texte qui rassure les foules mais n’empêchera ni les appels frauduleux, ni les centres offshore.
Vers un choc social ? L’économie du démarchage sur la sellette
À force de protéger le consommateur, la République va-t-elle sacrifier des emplois ? La question dérange, mais elle est bien réelle. Entre 8 500 et 50 000 postes sont menacés selon les estimations, notamment dans les centres d’appels sous-traitants. Le précédent du « oui pub » a laissé des traces : « 10 000 emplois supprimés chez Milee », rappelle la presse.
Le texte prévoit une exception pour les entreprises de moins de 50 salariés dont l’activité principale n’est pas le démarchage, afin de limiter la casse. Mais le flou persiste : que deviendront les armées d’agents téléphoniques ? Où se reconvertiront-ils dans un secteur déjà précaire et ultra-compétitif ?
Une victoire des consommateurs… en sursis ?
Sur le papier, l’interdiction du démarchage est une avancée majeure. Elle place la France parmi les pionniers d’une nouvelle ère de respect des données personnelles. Elle redonne la main aux citoyens sur leurs téléphones. Mais la vigilance s’impose. Les escrocs n’ont jamais attendu la légalité pour agir. Et les géants du marketing téléphonique savent déjà comment déjouer les filets législatifs.
À moins que cette fois-ci, la loi ne prenne vraiment les devants. À condition d’une application rigoureuse, de contrôles musclés et d’une réelle volonté politique. Le citoyen lambda, lui, n’attend qu’une chose : ne plus jamais décrocher un appel inconnu avec la peur d’un démarchage déguisé.