Contrairement aux fonds d’investissement, peu d’acteurs du corporate venture font appel à des partenaires opérationnels (ou operating partners). Quelques-uns commencent à ponctuellement chercher des appuis extérieurs mais sans que ce ne soit encore reconnu comme une bonne pratique.
Pour jouer pleinement leur rôle, les CVC auront besoin d’un cadre de performance opérationnelle
Les fonds d’investissement lancés par les grands groupes, autrement appelés corporate venture capital (CVC), ont de par leur expérience d’entreprise et leur solidité, le potentiel pour devenir des acteurs clés du soutien financier à la croissance économique en France et en Europe, comme ils le sont devenus aux États-Unis. Leur modèle peut même être fortement créateur de richesse et représenter un atout stratégique pour leurs “maisons mères”. Les conclusions de l’étude publiée mi-février 2025 par Aster Fab l’attestent. Mais elle laisse aussi entrevoir des pistes d’amélioration.
Des forces mais aussi des points d’amélioration
Divisés actuellement en deux grandes catégories (les fonds pilotés par des entreprises et les fonds à LP unique), les CVC fixent des objectifs de liquidité relativement limités, avec une période de détention moyenne observée de 5 à 7 ans pour les investissements. 63% ne pensent pas à vendre leurs participations ; et quand ils le font, dans les 2/3 des cas, c'est pour une raison de désalignement stratégique plutôt que de gain financier. 56% d'entre eux investissent avant tout sur leur cœur de métier, sinon en lien avec leur stratégie à long terme. 50% établissent une étude d’opportunité (business case) avant d'investir, quelques autres réalisent des preuves de concept (POC).
Pourtant, la moitié d’entre eux disent ne pas être satisfaits de la collaboration entre leurs équipes internes et celles des start-up dans lesquelles ils ont investi. Quant aux indicateurs suivis, les principaux concernent le retour sur investissement, les synergies commerciales, et la reconnaissance de la marque, mais la méthodologie appliquée manque de clarté.
Comme les fonds d’investissement, miser sur l’opérationnel
L’une des pistes d’amélioration consisterait à élaborer un plan d'action pour réévaluer l'alignement stratégique, optimiser la gestion des partenariats et intégrer pleinement le suivi ESG dans le processus d'investissement – ce qui in fine contribuerait à renforcer l'impact des CVC sur le développement des start-up.
Mais pour y parvenir, il leur faudrait définir au préalable un cadre de performance opérationnelle. Les CVC en France n’en sont pas dotés. Or s’ils veulent jouer pleinement leur rôle auprès de leurs participations, ils en ont besoin, par exemple pour évaluer la capacité d’exécution des entreprises à déployer leur stratégie, ceci afin d’anticiper d’éventuelles complications.
Avoir un cadre de performance opérationnelle aiderait aussi les CVC à définir clairement leur propre stratégie (alignement stratégique avec le groupe vs performance financière) et à avoir de la visibilité sur la valorisation réelle de leur portefeuille et de son potentiel à 4 ans. Ils pourraient l’utiliser pour faire évoluer leurs thèses d’investissement - dans l’ensemble, elles sont revues tous les 1 à 3 ans et ont comme sujets principaux d’être "alignée avec la stratégie groupe", avoir un focus "environnemental", et "transition énergétique", ou "Digital“. Enfin, ils seraient mieux armés pour relever les défis cycliques qu’ils rencontrent lorsqu’ils doivent ré-obtenir le soutien de leur direction générale alors que des changements réguliers sont observés dans le top management des grands groupes.
Le constat d’un décalage entre CVC et VC
Pour l’heure, le sujet de la capacité opérationnelle n’est pas vraiment pris en main. Force est de constater que peu de CVC font appel à des partenaires opérationnels (ou operating partners). L’étude d’Aster Fab estime que seuls 13% disposent d'équipes pour accompagner les start-up quand plus de 30 % des fonds d’investissement en ont. Sur ce point, ils sont finalement en retard sur les pratiques mises en place dans les fonds d’investissement, et encore très loin des bonnes pratiques américaines.
Certes, quelques-uns sollicitent l’appui de soutiens extérieurs, un modèle qui correspond mieux à leur taille souvent plus petite que celle des fonds classiques. Mais dans ce cas, la plupart font appel à des consultants en due diligence ou à des experts sectoriels pour l'évaluation de nouvelles technologies, l’objectif étant de garantir un processus d'évaluation précis et fiable. Les valorisations de portefeuille sont, quant à elles, auditées et validées par les commissaires aux comptes des CVC. D’opérationnel, il n’y en a point, alors que cela est bien souvent le premier garant du succès d’une start-up.
Adopter les bonnes pratiques des autres fonds
En s’inspirant des leviers utilisés par les fonds d’investissement, ils pourraient décider de mobiliser à leur tour des operating partners. Ces derniers viendraient travailler auprès des dirigeants des startups sur l’adoption de structures de gouvernance robustes, le maintien de leur agilité en cas de changements de leadership, l’ajustement de la communication interne et le partage des connaissances, etc. Dans les startups accompagnées par des fonds, 60 % des dirigeants reconnaissent la contribution de ces operating partners à l’exécution du plan de création de valeur. Plus de 50 % estiment qu’ils génèrent une valeur extra-financière concrète en mobilisant leurs réseaux, et 20 % considèrent qu’ils ont été les premiers à identifier les chantiers prioritaires.
Le fait de recourir à des acteurs externes permettaient par ailleurs aux CVC de réaliser des diagnostics opérationnels du portefeuille, et de mesurer le retour sur investissement et l’impact de l’apport opérationnel fourni aux startups, aboutissant à la mise en place des bons indicateurs de performance pour suivre l’alignement du CVC avec la stratégie du groupe et de la startup avec la stratégie du CVC.
Encore peu développée dans le corporate venture, l’accompagnement opérationnel du dirigeant en appui de l’investisseur pourrait s’imposer comme la prochaine bonne pratique au service des enjeux de croissance et de pérennisation de l’activité des entreprises françaises.