Promesses, milliards et électrolyse : la France rêvait d’un avenir en hydrogène vert. Mais entre volontarisme politique et capacités industrielles, la réalité vient de prendre une douche froide. La Cour des comptes, dans son rapport 2024, tire la sonnette d’alarme.
Cour des comptes : l’hydrogène, mirage budgétaire de la décarbonation

Le 4 juin 2025, plusieurs médias ont relayé les conclusions sévères de la Cour des comptes sur la stratégie hydrogène de l’État français. Dans une analyse détaillée, l’institution dénonce l’illusion de grandeur d’un plan de transition énergétique qui repose sur des prévisions jugées irréalistes et un financement public mal calibré. Ces critiques s’appuient notamment sur le rapport public annuel 2024, publié en mars par la Cour.
Des objectifs hydrogène largement surévalués
Depuis 2018 et le plan Hulot, les montants alloués à la filière hydrogène se sont emballés : 100 millions d’euros au départ, puis 7 milliards avec la Stratégie nationale hydrogène (SNH1) en 2020, jusqu’à 9 milliards en 2023 avec la SNH2.
Mais les ambitions se sont réduites aussi vite qu’elles ont été proclamées. L’objectif initial de 6,5 gigawatts (GW) de capacités d’électrolyse en 2030 a été revu à 4,5 GW. Et encore, selon la Cour, « les dispositifs de soutien publics pourraient permettre tout au plus la mise en place de 0,5 à 3,1 GW ».
Le document technique n°58078 de la Cour des comptes va plus loin en affirmant que « la stratégie nationale surévalue la maturité technologique des solutions retenues et néglige les contraintes industrielles sur les chaînes d’approvisionnement ».
Un gouffre financier pour les finances publiques
La Cour chiffre le surcoût de l’hydrogène électrolytique – produit à partir d’électricité – entre 3,5 et 8,6 milliards d’euros par an jusqu’en 2050, en raison de son coût deux à trois fois plus élevé que l’hydrogène issu du gaz naturel. Un fardeau que le contribuable pourrait devoir porter si la compétitivité de la filière ne s’améliore pas rapidement.
En parallèle, seuls 900 millions d’euros ont été effectivement décaissés, sur les 9 milliards promis à la filière. Et 3 milliards ont été juridiquement engagés. Pour la Cour, cela traduit un manque de coordination et une exécution hasardeuse des politiques publiques.
Les magistrats s’interrogent aussi sur la pertinence des subventions massives allouées à la mobilité routière (1,6 milliard d’euros), jugée non prioritaire, alors que l’industrie lourde reste en attente de projets concrets.
Une production électrique irréaliste au regard des objectifs fixés
L’un des angles morts du plan français repose sur un pari énergétique difficilement tenable : pour atteindre les objectifs hydrogène, la production d’électricité française devra atteindre 900 TWh d’ici 2050. Or, le gestionnaire de réseau RTE prévoit un plafond réaliste entre 675 et 775 TWh.
« De tels niveaux de production électrique semblent irréalistes », conclut la Cour dans son rapport. Et même si les électrolyseurs pouvaient théoriquement s’ajuster aux pics de production renouvelable, leur consommation constante les rend très dépendants de la disponibilité réelle du réseau. Ce déséquilibre menace la sécurité d’approvisionnement et l’équilibre financier des acteurs du secteur, à commencer par EDF, sommé d’assumer une demande croissante sans visibilité claire.
Un virage industriel symbolisé par le changement de cap de GRTgaz
Le 31 janvier 2025, GRTgaz a changé de nom pour devenir NaTran, une transformation symbolique d’un opérateur clé du gaz désormais tourné vers la transition énergétique. L’entreprise a annoncé que 50 % de ses investissements annuels seraient désormais dédiés à la décarbonation, notamment à travers le développement d’infrastructures dédiées à l’hydrogène et au CO₂.
Parmi ses projets phares : plus de 1 000 kilomètres de canalisations pour transporter l’hydrogène entre zones de production et usages industriels, ainsi que la participation au corridor H2Med, destiné à interconnecter plusieurs pays européens autour de cette nouvelle molécule énergétique.
Ainsi, la Cour des comptes met en lumière les failles d’un volontarisme énergétique qui, sans pilotage cohérent, risque de déboucher sur des résultats décevants, voire contreproductifs. Dans l’état actuel, le plan hydrogène de la France apparaît plus comme une ambition institutionnelle que comme une stratégie industrielle viable. Le risque ? Multiplier les annonces, sans jamais en voir les effets concrets.