Quand les promesses de sécurité se heurtent à la Constitution, les arbitrages font grincer. Une récente décision du Conseil constitutionnel rebat les cartes dans les transports publics, interdisant aux agents privés d’expulser les voyageurs dans les transports de la SNCF et de la RATP.
A la SNCF, les agents privés ne pourront pas expulser les voyageurs
Le 24 avril 2025, le Conseil constitutionnel a rendu une décision particulièrement attendue sur la loi relative à la sécurité dans les transports. Le texte, porté à bout de bras par l’exécutif, ambitionnait de muscler les prérogatives des agents de la RATP (Régie autonome des transports parisiens) et de la SNCF (Société nationale des chemins de fer français). Las, l'institution a tranché : certains articles sont inconstitutionnels. Et parmi eux, celui qui autorisait des agents privés à expulser des voyageurs récalcitrants.
Le Conseil constitutionnel ferme la porte à l’expulsion par des agents privés de la RATP ou de la SNCF
Ils en rêvaient, le Conseil les a rappelés à l’ordre. Dans un climat de tensions accrues dans les transports urbains et ferroviaires, la loi votée en mars visait à donner plus de latitude aux agents de sécurité de la RATP et de la SNCF pour répondre aux incivilités. En tête de gondole : la possibilité d’expulser physiquement un usager troublant l’ordre public, directement, sans devoir attendre l’intervention des forces de l’ordre.
Mais la juridiction constitutionnelle a sèchement censuré cette mesure. Dans sa décision du 24 avril 2025, elle affirme que : « les mesures de contrainte relèvent, par nature, de la seule compétence des autorités de police ». Autrement dit : la force, même mesurée, n’est pas l’apanage des vigiles privés, aussi bien formés soient-ils.
Pour les agents concernés, c’est la douche froide. La Sûreté ferroviaire (Suge, pour la SNCF) et le GPSR (Groupe de protection et de sécurité des réseaux, pour la RATP) devront continuer à appeler les forces de l’ordre dès qu’un voyageur refuse d’obtempérer.
Agents frustrés, usagers partagés : le Conseil constitutionnel cristallise les tensions
La décision du Conseil ne fait pas que des heureux. Du côté des professionnels de terrain, l’incompréhension domine. « On veut nous donner des missions sans nous donner les moyens de les faire respecter », soupire un agent interrogé par LCP. Même son de cloche parmi les responsables syndicaux, qui dénoncent une « déconnexion du réel ». Des raisons de mécontentement en plus pour une profession qui en compte déjà beaucoup.
À l’inverse, plusieurs associations de défense des libertés saluent une décision de bon sens. « Permettre à des salariés d’une entreprise publique d’user de la force sans contrôle judiciaire, c’est ouvrir une brèche inquiétante », alertait déjà la Ligue des droits de l’Homme lors des débats parlementaires.
Et les usagers, dans tout ça ? Ceux qui subissent au quotidien les incivilités, les agressions verbales ou l’insécurité chronique dans certaines lignes regrettent que l’État recule. Mais d’autres, méfiants face à l’idée de pouvoir confié à des agents non assermentés, se disent rassurés par la décision du Conseil.
Palpations, caméras, refus d’accès : ce que le Conseil constitutionnel autorise malgré tout
Tout n’est pas à jeter dans la loi sur la sécurité dans les transports. Le Conseil a validé plusieurs mesures controversées mais jugées compatibles avec le cadre constitutionnel.
Ainsi, les agents peuvent désormais procéder à des palpations de sécurité sans autorisation préfectorale, y compris aux abords des gares. Un pouvoir longtemps cantonné aux seuls policiers et gendarmes. De même, le port de caméras-piétons est pérennisé pour les agents de contrôle. La mesure, expérimentée ces dernières années, visait à dissuader les comportements agressifs — parfois dans les deux sens.
Surtout, les agents conservent le droit de refuser l’accès à un usager, même sans incident majeur. Mais si celui-ci s’entête à monter dans la rame ou à squatter la gare, seule la police pourra intervenir.
Vidéosurveillance algorithmique et tasers : les autres points censurés par le Conseil constitutionnel
La censure ne s’arrête pas à la question de l’expulsion. Le Conseil constitutionnel a aussi retoqué plusieurs « cavaliers législatifs » glissés discrètement dans le texte, sans lien direct avec le cœur du projet.
Parmi eux, la très controversée prolongation jusqu’en 2027 de la vidéosurveillance algorithmique — ces « caméras intelligentes » expérimentées pendant les Jeux olympiques — est annulée. Le Conseil considère que leur usage généralisé, sans encadrement clair ni justification liée à l'objet de la loi, constitue une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.
Autre rejet : la possibilité d’équiper les agents de la SNCF de pistolets à impulsion électrique (Taser). Motif identique : absence de lien avec le texte initial, donc inconstitutionnalité formelle.
Quand sécurité rime avec complexité
Faut-il y voir une victoire des libertés ou un revers pour la sécurité publique ? Une chose est certaine : le Conseil constitutionnel a marqué un coup d’arrêt aux velléités d’extension des missions de sécurité confiées à des agents privés.
Et pendant ce temps, les voyageurs oscillent entre soulagement et résignation. Ceux qui craignaient un zèle excessif de certains agents se félicitent du verdict. Ceux qui, chaque jour, affrontent l’anarchie dans les wagons bondés, redoutent que cette décision empêche toute réponse rapide aux agressions. La SNCF et la RATP, elles, devront revoir leur doctrine d’intervention. Avec des effectifs de police saturés et des incivilités en hausse, l'équation est loin d’être résolue.