Le conclave sur les retraites en bonne voie… d’échec

Trois mois de tractations, une semaine de prolongation, et au bout, une table quasi vide. Alors que le système des retraites pèse un tiers des dépenses publiques, le conclave censé le sauver vire à l’impasse.

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By Adélaïde Motte Published on 18 juin 2025 12h00
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Le conclave sur les retraites en bonne voie… d’échec - © Economie Matin

Le 18 juin 2025, le gouvernement a concédé une prolongation exceptionnelle du conclave des retraites, initiative lancée en février dernier pour répondre à la fragilité croissante du système. Depuis la réforme de 2023, l’équilibre financier des retraites reste un mirage, en dépit des sacrifices imposés aux actifs. Avec une démographie en berne, une croissance molle et un déficit public sous tension, ce conclave visait une refondation profonde. En vain, semble-t-il.

Comment le conclave voulait refonder un système au bord de l’asphyxie

Instauré le 27 février 2025, le conclave des retraites devait réunir syndicats et patronat autour d’un constat partagé : sans réforme structurelle, les actifs d’aujourd’hui financent un système dont ils ne profiteront probablement jamais. En cause, une pyramide des âges inversée et des dépenses qui absorbent à elles seules 33 % du budget de l’État. Chaque mois, des millions de salariés versent des cotisations pour maintenir à flots un système dont ils ne pourront vraisemblablement pas profiter.

Le premier ministre François Bayrou avait promis une méthode nouvelle : concertation, transparence, compromis. Autour de la table : CFDT, CFTC, CFE-CGC pour les syndicats ; Medef et CPME côté patronal. Le médiateur Jean-Jacques Marette, figure chevronnée des négociations sociales, avait pour mission d’orchestrer l’équilibre entre exigence budgétaire et justice sociale.

Un conclave marqué par des tensions explosives

Dès le début, les lignes de fracture sont apparues. Les syndicats réclament la prise en compte de la pénibilité, l’abaissement de l’âge de départ sans décote à 66 ans, contre 67 aujourd’hui, et des mesures en faveur des carrières longues. Le patronat, de son côté, freine. Pour Patrick Martin, président du Medef, « certains détricotent la réforme à bas bruit ». Il ajoute : « Au rythme où vont les choses, rapidement nous ne pourrons plus payer les retraites ».

Le 17 juin, après une journée de négociation houleuse, l’impasse est actée. « On a surtout évité ce soir de dire qu’on a échoué », résume Christelle Thieffinne (CFE-CGC). L’ambiance est électrique, les positions figées. Pascale Coton (CFTC), « en colère », menace de ne pas revenir à la réunion finale prévue le 23 juin.

Les propositions sur la table : mesurettes ou compromis bancal ?

Le médiateur a tenté de rassembler un socle minimal d’accords. Quelques pistes émergent :

  • Retraite des femmes : calculée sur les 24 meilleures années (1 enfant) ou 23 (2 enfants), contre 25 actuellement.

  • Compte pénibilité : pour intégrer certaines conditions de travail (charges lourdes, vibrations, postures pénibles).

  • Âge sans décote : compromis possible à 66,5 ans, mais le dispositif carrière longue serait restreint.

  • CSG des retraités : hausse envisagée pour les pensions moyennes et élevées.

  • Indexation des retraites : sous-indexation de 0,8 point en 2026 et 0,4 point en 2027.

  • Prime seniors : abandonnée par le gouvernement.

Le Medef juge ses propositions ignorées. « Ces propositions ont été balayées d’un revers de la main », déplore Patrick Martin, qui reste « très réservé » sur sa présence le 23 juin.

Crise politique à l’horizon : menaces de motions de censure

L’impasse du conclave inquiète jusque dans les travées parlementaires. Le Parti socialiste (PS) et La France insoumise (LFI) menacent chacun de déposer une motion de censure si le gouvernement ne permet pas un débat parlementaire.

Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du Travail, tente de calmer le jeu : « Ce n’est pas le moment de fuir. Le temps est venu de prendre nos responsabilités ».

Une arithmétique impitoyable : pourquoi les actifs ne croient plus au système

La colère monte parmi les actifs. Car pour eux, l’équation est absurde : cotiser plus, partir plus tard, toucher moins. Chaque mois, près de 500 euros en moyenne sont prélevés sur le salaire brut pour financer un système dont le rendement devient incertain.

Or, le ratio cotisants/retraités continue de chuter : en 1975, on comptait 4 cotisants pour 1 retraité ; aujourd’hui, ce ratio est de 1,7 pour 1, et pourrait tomber à 1,3 d’ici 2035. Le modèle par répartition, fondé sur la solidarité intergénérationnelle, vacille.

Le système par capitalisation en embuscade

À mesure que la défiance augmente, certains plaident pour l’introduction – partielle – d’un système par capitalisation. Concrètement : épargner sur des produits financiers, individuels ou collectifs, pour garantir une retraite complémentaire. Le sujet reste sensible, accusé de favoriser les hauts revenus.

Mais plusieurs pays européens, comme la Suède ou les Pays-Bas, combinent répartition et capitalisation, avec des résultats jugés plus viables. Le conclave n’a toutefois pas abordé frontalement cette piste par crainte d’un éclatement de la négociation.

Le 23 juin se tiendra la réunion dite de la « dernière chance ». Mais déjà, les acteurs principaux doutent. « Je ne suis pas super optimiste », confie Christelle Thieffinne. Sans accord global, l’exécutif pourrait renvoyer le sujet à une réforme législative expresse… ou reculer, une fois de plus.

Dans les rues, les actifs, eux, continuent de cotiser. Mais pour quoi ? Le silence des institutions sur le rendement futur du système alimente le soupçon : celui d’un investissement sans retour. Et d’un État qui, faute de courage, risque de voir s’écrouler un des derniers piliers de la solidarité nationale.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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