Chacun croit savoir qui vole, pourquoi, à quelle fréquence. Mais derrière les apparences, les chiffres et les tendances racontent une tout autre histoire. L’usage de l’avion en France a changé de visage et est devenu populaire. Et le secteur, bousculé, tente de s’adapter à ce que certains refusent de nommer : une révolution silencieuse des mobilités.
Qui prend l’avion en France ? Pas qui l’on pense

Le 10 juin 2025, la Fédération nationale de l’aviation et de ses métiers (FNAM) et l’Union des aéroports français (UAF) ont levé le voile sur une enquête sociologique d’ampleur, croisant les données de la DGAC (Direction générale de l’aviation civile), de l’ENPA (Enquête nationale des passagers aériens) et un sondage IFOP mené auprès de 3 995 personnes. Et les résultats sont étonnants, pour le moins.
Longtemps associé aux cadres pressés ou aux vacanciers aisés, l’avion en France s’est métamorphosé en un moyen de voyage ordinaire, largement diffusé dans toutes les couches de la population. En 2024, 65 % des Français déclarent avoir recours à ce mode de transport, dont un tiers au moins une fois par an.
L’avion est-il vraiment un moyen de transport de riches ?
Selon l’étude IFOP-FNAM-UAF, ce sont les catégories les plus modestes qui surprennent : plus de la moitié des passagers appartiennent désormais aux CSP– (catégories socioprofessionnelles les moins favorisées). Et les employés forment le groupe le plus représenté chez les actifs, avec 43 %, en hausse de 7 points depuis 2016. Les ruraux (communes de moins de 2 000 habitants) ne sont pas en reste : près de 60 % d’entre eux prennent l’avion, mettant fin au mythe d’un usage purement urbain.
Dans les DROM-COM, l’avion n’est pas un choix, c’est une évidence : 95 % des habitants déclarent l’utiliser, et 92 % considèrent ce mode de transport « indispensable au développement économique et touristique des territoires », souligne l’étude.
Qui vole vraiment ? Les jeunes, les familles...
La tendance la plus spectaculaire est la montée en puissance des jeunes. Entre 2016 et 2024, les moins de 35 ans sont passés de 37 % à 46 % des passagers, soit une progression de +9 points. Sur le segment des voyages VFR (Visiting Friends and Relatives), leur part grimpe à 48 %.
Ce basculement est d’autant plus ironique que les moins de 35 ans se disent les plus sensibles aux discours environnementaux : 47 % déclarent que ces messages influencent leurs intentions de déplacement, et 33 % reconnaissent être affectés par les critiques sur l’usage de l’avion. Pourtant, ce sont eux qui prennent le plus souvent leur billet. « Les habitudes de voyage sont ancrées dans le mode de vie des Français », et cette jeunesse apparemment critique... vole en masse.
Les raisons qui poussent les Français à prendre l’avion
Le motif dominant n’est pas celui qu’on croit. Si les voyages touristiques restent stables (48 %), c’est le motif familial et amical qui explose : +46 % depuis 2016, selon les données croisées de la DGAC et de l’étude SIA Partners. En 2024, 27 % des déplacements relèvent de cette logique de proximité affective.
Cette dynamique VFR — largement portée par les jeunes — redéfinit la finalité de l’avion : ce n’est plus un privilège, c’est une solution relationnelle, une nécessité pour maintenir le lien social à distance. « L’avion est un outil de mobilité, de catalyseur de lien social, d’aménagement du territoire », insiste Pascal de Izaguirre, président de la FNAM.
Par ailleurs, le temps de séjour tranche avec les clichés : 51 % des passagers restent plus de 10 jours, contre à peine 8 % qui s’offrent un simple week-end, et 4 % un aller-retour dans la journée. L’usage de l’avion reste massivement réservé aux voyages longs, comme l’explique l’IFOP.
L’avion oui, mais sous conditions : arbitrages économiques et conscience écologique
Le principal frein est financier. 83 % des Français estiment qu’un billet d’avion représente un effort, et 80 % adoptent une stratégie pour le rendre possible : anticipations, promotions, renoncements. La fiscalité est perçue comme un obstacle, en particulier chez les jeunes ménages.
Quant à la conscience environnementale, elle ne se traduit pas toujours dans les actes. Une majorité affiche des intentions : 79 % veulent réserver l’avion aux longues distances, 75 % choisiraient des compagnies plus vertueuses, 69 % voyageraient plus léger. Mais seuls 32 % admettent que les messages publics sur le climat influencent leurs pratiques réelles.
La honte de prendre l’avion ? Les Français n’y sont pas sensibles
Les Français ne rejettent donc pas l’avion. Au contraire, 70 % estiment qu’il sera progressivement décarboné, et 61 % considèrent que des efforts sont déjà engagés : renouvellement des flottes, carburants alternatifs, compensation carbone. Mais l’adhésion reste conditionnelle : 81 % exigent que les aides publiques soient liées à des objectifs écologiques concrets. Cette transformation s’inscrit dans une logique plus large : 87 % des Français voient dans le secteur aérien un savoir-faire industriel, 80 % le considèrent complémentaire au train ou à la voiture, et 78 % le jugent indispensable au développement touristique et économique.
La fermeture de lignes, la hausse des taxes, les débats sur le « flygskam » (« honte de voler »)… tout cela n’a pas (encore) modifié l’essentiel : pour 80 % des Français, une vie sans avion signifierait l’isolement des territoires ultramarins ou éloignés, avec des conséquences concrètes sur le rapprochement familial (61 %) et le tourisme local (70 %).