Avion : 60% des voyageurs pourraient perdre leur droit à une indemnisation

le 5 juin, les ministres des Transports de l’Union européenne ont approuvé un projet de réforme du Règlement (CE) n° 261/2004, pilier des droits des passagers aériens en Europe depuis deux décennies. La réforme proposée, qui doit maintenant être examinée par le Parlement européen, supprime les droits à indemnisation pour la majorité des passagers retardés et légalise des pratiques précédemment sanctionnées, telles que les frais pour bagages cabine standards.

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By Anton Radchenko Published on 7 juin 2025 11h00
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Avion : 60% des voyageurs pourraient perdre leur droit à une indemnisation - © Economie Matin
92%92 % des Européens rejettent l’affaiblissement du règlement EU261
Cette réforme menace d’effacer vingt ans de progrès en matière de droits des consommateurs. Selon nos estimations, la réforme pourrait rendre 60 % des passagers concernés inéligibles à une indemnisation, en particulier ceux voyageant sur des vols moyen ou long-courriers en Europe.

Ce que les voyageurs avaient avec le règlement EU261

Depuis 2005, le Règlement (CE) n° 261/2004, offre aux passagers aériens des droits clairs et exécutoires, notamment :
  • Indemnisation en cas de retard de plus de 3 heures :
    •  250 € pour les vols court-courriers
    •  400 € pour les vols moyen-courriers
    •  600 € pour les vols long-courriers
  • Bagage cabine gratuit inclus dans tous les billets

  • Placement garanti pour les accompagnateurs de personnes à mobilité réduite

  • Corrections gratuites des noms des passagers

  • Protection contre la règle du “no-show”, interdisant aux compagnies d’annuler le vol retour si le vol aller est manqué

Ce que change la réforme

Selon le projet approuvé par les ministres de l’UE, bon nombre de ces protections seraient réduites ou supprimées :

  • Plus d’indemnisation sauf si le retard dépasse 4 heures (pour les vols de moins de 3 500 km) ou 6 heures (pour les vols long-courriers), un recul majeur par rapport au seuil fixe actuel de 3 heures.
  • Montants d’indemnisation réduits : 300 € pour les vols moyen-courriers, 500 € pour les vols long-courriers.

  • Le bagage cabine gratuit est redéfini comme un petit objet (max. 40x30x15 cm) à placer sous le siège. Cela signifie que les valises cabine classiques pourront désormais être facturées, légalisant de fait les frais de bagages cabine.

  • Les compagnies aériennes pourront facturer les corrections de nom dans les 48 heures précédant le départ.

  • Le retour de la règle du “no-show” : les compagnies pourront annuler les vols retour si le vol aller est manqué, même si une indemnisation partielle pourrait être exigée.

Seules quelques améliorations mineures ont été introduites dans la réforme : les passagers auront désormais le droit de réserver un transport alternatif eux-mêmes si la compagnie ne les reroute pas dans un délai de 3 heures, et pourront réclamer jusqu’à 400 % du prix initial du billet. En outre, la réforme établit un délai de 6 mois pour déposer une plainte et oblige les compagnies à répondre dans un délai de 14 jours, un progrès procédural limité mais bienvenu.

Une double peine pour les passagers : moins de compensations, plus de frais

La proposition du Conseil est un recul clair des protections établies pour les consommateurs. Le seuil de 3 heures de retard est une norme internationale reconnue qui oblige les compagnies à rendre des comptes. L’affaiblir envoie un message clair : le temps et les désagréments des passagers ne comptent plus.

La nouvelle définition du bagage à main permet désormais aux compagnies de facturer les valises cabine standards. Cette réforme légalise des pratiques qui avaient été contestées ou interdites, comme les frais pour bagages cabine. Elle va à l’encontre des efforts de nombreux pays en matière de protection des consommateurs. L’Espagne est exemple concret : en novembre 2024, le ministère de la Consommation espagnol a infligé 179 millions d’euros d’amendes à plusieurs compagnies low-cost pour des frais illégaux liés aux bagages et au placement des passagers, des pratiques désormais rendues légales par cette réforme.

L’opinion publique est également largement opposée aux changements. Un sondage AirAdvisor réalisé auprès de plus d’un millier de citoyens européens a révélé que :

  • 92 % rejettent l’affaiblissement du règlement EU261

  • 76 % soutiennent une mise à jour des montants d’indemnisation pour refléter l’inflation

  • 61 % estiment que l’indemnisation devrait commencer dès 2 heures de retard

25 ans de données de vols analysées : EU261 a réduit les retards

Une étude complète menée par AirAdvisor, portant sur les données de vols de 1999 à 2024, montre que le règlement EU261 a eu un impact considérable sur la réduction des retards :

  • En 1999, plus de 25 % des vols européens accusaient un retard de plus de 15 minutes.

  • En 2005, lors de l’entrée en vigueur de l’EU261, ce chiffre était tombé à 20 %.

  • En 2011, seulement 0,9 % des vols avaient plus de 2 heures de retard, le plus haut niveau de ponctualité jamais enregistré en Europe.

  • Les retards de plus de 3 heures ont chuté de 20 % après l’application d’EU261, les compagnies s’adaptant pour éviter de payer des indemnités. (Source : SSRN, 2014)

Mais depuis 2018, les retards ont augmenté de nouveau, en raison des pénuries de personnel, de la saturation du trafic et de l’état vieillissant des infrastructures. En 2019, 28% des vols étaient en retard, et les retards longs ont presque doublé par rapport à 2011. Malgré cela, la réforme actuelle relèverait le seuil d’indemnisation à 4 voire 6 heures, supprimant les compensations pour la majorité des passagers, y compris en cas de maladie du personnel ou de pannes techniques, désormais souvent considérées comme des « circonstances extraordinaires ».

Nous faisons marche arrière.Plutôt que de renforcer les règles qui ont fait leurs preuves, les législateurs les démantèlent. Cette réforme menace de démanteler deux décennies de protections durement acquises pour les passagers. Nous appelons le Parlement européen à amender ou rejeter la proposition du Conseil.
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avocat spécialisé en droit aérien et fondateur et PDG d’AirAdvisor.

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